lundi 30 mai 2011

Enfants de la patrie

Cher Claude Guéant

Je vous souhaite la bienvenue en Touraine, ma terre d'adoption à moi et aux miens, pour colmater les brèches sociales que ce drame de Joué-Les-Tours révèle.

Vous croiserez peut-être dans le corps enseignant de cette école frappée par un destin cruel le regard de mon épouse qui y exerce le rude métier d'institutrice en ZEP. Oh, ça n'est pas la pire zone. Nous sommes Ch'tis.

Elle est originaire, comme vous, de ces terres de Vimy, là où le prioritaire de l'éducation des populations sinistrées par les crises industrielles s'efforce de soigner de béantes cicatrices sur une troisième génération de damnés de la terre de mines. Celles où des décennies plus tôt des enfants de la patrie, de l'Hexagone comme de nos anciennes colonies, sont morts pour la France.

Mais nous sommes ici dans cette douceur tourangelle un peu plus loin des violentes frontières de la mondialisation. N'empêche, certains îlots populaires comme celui que vous allez visiter ont accueilli à bras parfois trop ouverts des citoyens du monde qui aujourd'hui vivent mal.

Et c'est sur le terrain de l'insécurité, forcément, dans cette vertigineuse vacuité qui sépare parfois les pays d'origine de ceux d'accueil qu'ils sont, comme pas mal de Français natifs qui n'y vivent pas mieux, focalisés.

Sur des règles mal énoncées, trop mal rappelées, ils ne verront pas s'exercer la loi du hasard qui aurait pu, plutôt qu'un gendarme, mener le conducteur du camion d'un commerce local sur la route où ont été écrasés leurs enfants.

Mais vous le savez, les relations entre ce petit peuple métissé et les forces de l'ordre sont devenues tellement compliquées. Tant de mots qui fâchent ont été prononcés qu'on se demande bien quelles forces de l'esprit seront capables un jour de trouver ceux qui apaisent.

Les contrôles d'identité et de vitesse ont fait naître des monstres d'exaspération dont tellement de politiques profitent. Sans même attendre la vérité, ils s'insurgent déjà contre l'hypothétique violation des règles par un représentant des forces de l'ordre.

Alors je vous souhaite de les trouver, ces mots, comme pour créer un précédent. Une sorte de parole magique qui ne vous appartiendrait pas, ni à vous, ni à aucun parti politique. Ces mots que l'on prononce quand un enfant de la patrie a été fauché par l'absurdité.

mercredi 25 mai 2011

Prévenus

La rubrique politique débordait déjà sur les pages people. Elle s'étale dans la chronique judiciaire.

Des représentants du peuple, habitués au paraître, qui comparaissent ; des tribuns au tribunal... De quoi charger encore un peu plus le casier étiqueté tous pourris.

Et comme d'habitude, les corbeaux se déguisent en colombes, jouent les vierges effarouchées. Drapés dans leur blancheur de circonstance, ils se repaissent de ce déballage de linge sale. Font mine de s'en laver les mains.

La culpabilité des autres ferait foi de leur propre innocence. Ils profitent donc de l'audience et instruisent discrètement le procès général, espèrent nous prendre à témoin. Mieux : constituer une sorte de jury populaire qui, le moment venu, saura éliminer.

Vous êtes prévenus.

lundi 23 mai 2011

Puissant ou misérable

La météo est incertaine. On peut néanmoins s'attendre à ce que les cieux déversent des seaux de merde sur la tête du peuple de gauche. Car "selon que vous serez puissant ou misérable" ...

Depuis que DSK est entré dans un commissariat de NYC, tout s'y prête. La droite, dans une grande dignité, s'efforce de ne pas se lâcher, conformément aux consignes du château, d'où depuis le donjon on peut discerner un peu de clairvoyance.

Mais les éléments de langage ont peu a peu filtré. Le fameux "l'image de la France dans le monde est ternie" (comme si elle était encore lumineuse, hein) tourne en boucle depuis une semaine.

Mais surtout, depuis ce dimanche 22 mai au matin sur les ondes d'Europe 1 et grâce à un autre Kahn (Jean-François, pas Dominique Strauss) un argument de nature à lessiver la gauche dans son ensemble, si d'aventure les faits reprochés à DSK venaient à s'avérer, est servi.

"Trousser une domestique, ça me semble gravissime. C’est exprimer un rapport de puissance par rapport à quelqu’un qui est en situation par définition fragile." Je ne vais retenir que ces mots de la difficile exégèse engagée par mon camarade Birenbaum. Car le reste n'est que cabrioles du langage initiées à l'ENA et confirmées dans la préfectorale.

Bref, ces mots (je répète : "Trousser une domestique, ça me semble gravissime. C’est exprimer un rapport de puissance par rapport à quelqu’un qui est en situation par définition fragile") portent un sens très lourd. En clair : celui qui était présenté comme le candidat providentiel de la gauche - parti qui, historiquement, défend les faibles contres les forts - ne serait qu'un puissant qui aurait abusé d'une misérable. Si l'accusation n'avait pas pensé à cet argument, le voilà disponible, sur la place publique.

mardi 17 mai 2011

Éros et Thanatos

L’actualité souffre parfois d’une inexcusable ingratitude. Alors que pendant des semaines, le cœur de la France entière a battu au rythme des bribes d’informations parcimonieusement délivrées sur l’éventuelle grossesse de Carla Bruni-Sarkozy, la confirmation de l’heureux événement est éclipsée.

Le petit compliment adressé à Carla par Jean-Pierre Pernaut dans son 13 heures, lundi, n’aura pas fait couler beaucoup d’encre et l’annonce officielle par les parents du couple 24 heures plus tard n’a pas déclenché de liesse populaire.

Oui, évidemment, l’affaire DSK a forcément pris le dessus. Les deux événements se font terriblement écho. D'un côté, l'image idyllique du couple parfait, de l'amour avec consentement, de la procréation... De l'autre, celle des pulsions qui, enfouies au fond des mâles après des millénaires de domination, resurgissent monstrueusement.

Quand on y songe, comment ne pas s’interroger sur ce croisement de sens et de caricatures. C'est un terrain tellement fertile pour les fantasmes en tous genres. Où l'on parle de suicide et de Sida aussi. De complots ourdis par d'obscures forces. Voilà une actualité qui nous replace en face des fondamentaux de l'espèce humaine : le bien, le mal, les pulsions de vie d'amour et de mort, Éros et Thanatos.

Cette affaire ne fera pas l'objet d'analyses rationnelles avant des lustres. Le cerveau reptilien de l'opinion publique a déjà éteint son peu de raison pure.

lundi 16 mai 2011

Conquêtes

A peine la Croisette s'émeut-elle de la projection de La Conquête, le film racontant l'ascension de Nicolas Sarkozy aux plus hautes fonctions, que le scénario du premier volet est déjà ruiné, mort et ringardisé par les promesses du second.

Car il y aura une La Conquête 2. Comment pourrait-il en être autrement ? La course à la présidentielle 2012 est tellement plus passionnante ! Un président sortant qui va re-devenir papa, une fille (Marine) qui doit venger son père (Jean-Marie) et surtout, surtout, LE polar du siècle.

Oui, dans La Conquête 2, terminé, ce côté trop franchouillard et étriqué des petits budgets dédiés aux histoires strictement hexagonales. Nous voici dans une intrigue internationale, où l'avenir de la France se joue dans un commissariat de Harlem, avec police scientifique, prélèvements d'ADN et recherche de traces intimes à lumière blanche rasante.

Evidemment, ce blockbuster est une hyperproduction hollywoodienne dont les droits nous échappent. Mais on le sait bien : à force de traverser les frontières et les océans, tout se mondialise. C'est le prix à payer quand on rêve de nouvelles conquêtes.

vendredi 13 mai 2011

Utopie

Un jour, il y a longtemps, j'ai dit qu'Internet transformerait l'humanité. On m'a traité d'utopiste. La rubrique des cyber faits divers du jour me rappelle cet instant où j'ai expliqué à un auditoire sceptique que l'idée selon laquelle les deux mondes – l'URL et l'IRL – sont séparés et ne se rencontrent jamais est une sorte de légende urbaine née du croisement entre une pensée archaïque et une peur de l'avenir.

Je n'y ai jamais cru. Surtout depuis le développement des réseaux sociaux. Comment imaginer que les minutes, les heures, les jours passés à interagir avec d'autres humains, quel que soit le médium, ne peuvent pas prêter à conséquence ?

Comment penser une seconde que les humeurs, les informations échangées et les avis confrontés ne s'impriment pas dans nos mémoires pour contribuer à produire des opinions, des haines ou des amours ?

Nier cette capacité du Net à forger les consciences - individuelles et/ou collectives - et les sentiments est aussi absurde que de croire que ce qui est transmis de bouches à oreilles, imprimé dans les livres, les magazines ou les journaux, dit à la radio ou montré à la télé n'est pas susceptible de bouleverser le cours de la vie des individus qui reçoivent ces messages, fussent-ils vrais ou faux, qu'importe.

On se conçoit ici comme ailleurs un point de vue sur le monde, des attaches et des distances, pour mieux y naviguer. Atteindre une terre promise ou se naufrager contre de maudits récifs.

Croire que les choses lues ou vues sur l'écran d'un terminal sont différentes des odeurs respirées, des surfaces touchées, des sons entendus ou des saveurs goûtées est une simple hérésie. Elles participent toutes à la constitution de notre être.

En émettant et/ou en recevant des données, nous générons immédiatement de futurs souvenirs dont certains ne s'effaceront jamais. Peut-être-même en rappelleront-ils d'autres, comme la madeleine de Proust, parce qu'ils portent une charge émotionnelle.

Tout cela ne se réduit pas en une succession de 1 et de 0 qui circulent, se croisent et s'entremêlent. Il faudra bien un jour admettre que l'humanité est entrée dans un développement cognitif et affectif nouveau : celui de l'agrégation collective des connaissances et des émotions via le Net.

On peut continuer à croire que cette faculté nouvelle n'existe pas, puisqu'elle ne se matérialise nulle part. Ou admettre que ce que l'on ne voit pas, ce que l'on ne touche pas, ce que l'on ne saisit pas peut changer le monde. On appelle ça une utopie.

mardi 10 mai 2011

De l'histoire

De Christophe Colomb atteignant les îles Caïmans (1503) à la mort de Louis XV frappé par la petite vérole (1774) en passant par l'invasion de la Belgique, de la Hollande et du Luxembourg par Hitler (1940) ou la Nuit des barricades (1968), combien de 10 mai sont-ils entrés dans l'histoire ?

Mais voilà. En 2011, les trente ans de l'accession de François Mitterrand au pouvoir auront éclipsé les autres événements estampillés 10 mai. C'est comme ça. La mémoire des choses qui changent le sens de la grande histoire est ingrate.

Disparue, la mort de Jean de La Bruyère (1696), ou celle d'Yves Robert (2002). Perdu de vue le contrat d'enregistrement de "Come on", premier 45 tours des Rolling Stones (1963).

On a même oublié de souhaiter un bon anniversaire à Bono (1960) ou à Linda Evangelista (1965). Et qui a pensé à Fred Astaire, né lui aussi un 10 mai (1899) ? Il n'a pas changé le sens de la grande histoire ? Allez savoir. Ses pas de danse avec Ginger Rogers n'ont-ils pas bouleversé le sens de millions de petites histoires d'amour ?

lundi 9 mai 2011

Dément

C'est fou, cette quantité de fausses informations qui circulent avant d'être aussitôt démenties.

La démission de Laurent Blanc ? Un mensonge. La Grèce envisagerait de quitter la zone Euro ? Une rumeur.

Anonymous à l'origine des attaques contre Sony ? Balivernes. Carla Bruni enceinte ? Fantasme.

Martine Aubry pas candidate à la primaire socialiste ? Calomnie. Pierre Bergé abandonne Ségolène Royal ? Billevesées.

Pas de fumée sans feu ? C'est ce qui se dit, mais à force de les renifler, on finit par avoir des hallucinations. C'est dément.

Mitterrand

Imaginons François Mitterrand coincé au purgatoire depuis janvier 1996. Pour les 30 ans de son arrivée au pouvoir, il a obtenu une audition de saint Pierre.

François Mitterrand : « Ne croyez-vous pas qu’il est temps maintenant de m’ouvrir la porte ? N’ai-je pas mérité une place auprès de l’autre. Enfin, de Dieu ? »

Saint Pierre : « Il se dit que vous voulez prendre sa place. Et puis Vichy, l’entrée de députés FN à l’Assemblée nationale… Il reste encore des zones d’ombre. »

François Mitterrand : « Voyez comme sur terre on me glorifie encore. L’abolition de la peine de mort, la réduction du temps de travail, les gens vivent plus longtemps, ça compte, non ? »

Saint Pierre : « Ça retarde les entrées de damnés en enfer et de bienheureux au paradis. Je vous vois bien rester une sorte de… mythe errant. »

François Mitterrand (dans sa barbe) : « Imbécile. »