samedi 31 décembre 2011

Silence

Ce que je vous souhaite pour 2012 ? Une année sans idole ni héros. Comme si au prochain sondage destiné à établir la femme ou l'homme politique, l'animatrice ou le journaliste préféré des Français vous pouviez rester sans voix.

Histoire juste que vous puissiez trouver la votre. Comme attiré par l'envie de vous écarter des sentiers battus pour trouver la voie.

Le tumulte libre des mots que nous déchaînons ici est parfois aussi ahurissant que la bouche grande ouverte d'un muet s'efforçant de faire entendre ce qu'aucune oreille ne peut écouter.

Pourtant à vous lire, je trouve espoir et confiance. Pour la plupart, vous n'êtes pas de ces animaux dociles qu'il suffit de caresser dans le sens du poil pour les entendre ronronner.

Alors, pour 2012, je vous prie de croire que cette idée répandue selon laquelle pisser dans un violon ne produit aucun son est fausse.

Je vous conjure de ne jamais écarter les choses qui vous viennent à l'esprit au prétexte de l'incongruité qu'elles vous inspirent, ou qu'on prétendra qu'elles évoquent.

Il n'est d'idée juste se réduisant au silence.

vendredi 30 décembre 2011

Panem et circenses

C'est encore trop lent. Et trop de pensées complexes s'expriment. Les réseaux sociaux devront trouver en 2012 une forme plus efficace, plus concise, plus rapide.

Tant d'espaces sont peine perdue. Dans une société de l'information vraiment contemporaine, il faut imaginer l'information comme une pure transmission de messages.

Il faudra abolir les subversives analyses abyssales des mots dits avants. C'est le moment, l'instant qui compte. Qu'importent les renoncements et les reniements, les ruptures dans la continuité.

Il faudra atteindre le RT, le + ou le like dans le millième de seconde sur des informations réduites à moins de dix caractères.

Dès lors, les oublis des tribuns de la plèbe seront légitimés, tout comme la paresse de nos mémoires. Nous souhaiterons des destinées fécondes ou funestes dans la seule splendeur de l'exploit d'un instant.

Alors, nous retrouverons la torpeur, l'effroi et les égarements du peuple de la République perdue le jour où, autour des arènes, sa citoyenneté se réduisit au droit de lever ou de baisser le pouce.

jeudi 1 décembre 2011

Liberté d’expression

Les auteurs ont le droit de tout dire, tout écrire, dans les limites imparties par l’état du droit, qui laisse de la marge. C’est ce que l’on appelle la liberté d’expression et c’est précieux comme la Démocratie. Fragile aussi.

Voilà ce qui permet à un auteur de narrer un DSK antisémite qui se torche le cul avec les pages de La Nuit d’Elie Wiesel. S’en offusquer serait d’ailleurs une marque d’intolérance ou un sérieux manque d’humour. C’est bien connu : on peut rire de tout, mais pas avec tout le monde : les jeux de mots sur les fours crématoires amusent rarement les enfants de victimes de la Shoah et les blagues pédophiles ne font que très peu s'esclaffer ceux qui en ont été victimes.

Le devoir de mémoire ? Incompatible avec une société de l’immédiat. L’éthique ? Un gros mot. Le respect ? Un truc ringard. Non, tout peut passer à la moulinette de l’humour noir, de l’autodérision, de la provoc’ et des sarcasmes. Tout. Ça n’est qu’une question de temps.

Après les victimes des camps de concentration, celles d’Hiroshima, des guerres du Vietnam ou d’Algérie, du Wolrd Trade Center ou de Fukushima, sans oublier, évidemment, les millions martyrs de la finance internationale, cette nouvelle bête immonde qui écrase des vies dans les laminoirs de la spéculation.

Attendez-vous même à voir paraître un roman qui nous racontera que la tentative de suicide par immolation le 17 décembre 2010 de Mohamed Bouazizi n’était pas destinée à déclencher le printemps arabe, mais à assurer la promotion d’une marque d’essence.

On rira même des altermondialistes et de ces imbéciles qui perdent leur temps dans les mouvements Occupy, de Wall Street à La Défense. On peut parier aussi que le moment venu, un ou deux bouquins sortiront, mettant en scène cette insupportable dictature intellectuelle des défenseurs de la liberté d’expression.

Ça fera rire beaucoup de monde, cette pirouette. Ça deviendra même tendance au point qu’on ne saura plus si les politiques qui veulent revenir sur les lois qui défendent cette liberté de s'exprimer sont sérieux ou s’ils ont le sens de l’humour. Peut-être même finiront-ils par convaincre les électeurs de leur confier le pouvoir. Et nous aurons gagné une grande liberté : celle de ne plus entendre que leur seule expression.

lundi 21 novembre 2011

Les petites lois de la République

Nous nous sommes fait piquer la rubrique faits de société. Oui, nous, les journalistes.

Jusqu'alors, c'est nous qui informions la population des dernières atrocités commises par nos semblables. Parce qu'il faut bien en rendre compte et, oui, aussi, parce que depuis que la presse est presse, ça lui permet de vivre, cette glace sans teint du reflet de la noirceur de l'âme humaine.

La couverture de ces méfaits et la chronique judiciaire étaient des fenêtres factuelles ouvertes vers la plus noble de toutes : celle où l'on s'efforçait de comprendre, analyser et mettre en perspective la somme des monstruosités moulinées grâce un algorithme redoutablement efficace : celui de la mémoire des rédactions.

A grands renfort de témoignages de citoyens ordinaires ou d'experts avertis, nous finissions parfois par mettre le doigt là où ça faisait mal au corps social. Il arrivait même que la représentation nationale, éclairée par ces lignes noircies, s'empare de la question pour débattre à son tour et pondre une législation idoine. Certaines, même, devinrent de grandes lois de la République.

Mais ce débat était dangereux, puisqu'il soumettait les idées reçues à l'accusé de réception des faits. En un mot : il fallait réfléchir. Et réfléchir, c'est désobéir. Bref, ce qu'on appelle, dans une Démocratie moderne et expéditive, du temps perdu.

Des communicants politiques inventèrent donc la riposte réglementaire et/ou législative en temps réel, plus communément appelée : "un fait divers, une loi". C'est le court-circuit idéal, une sorte d'électrochoc immédiat pour éradiquer de la cervelle humaine ce petit endroit où, depuis qu'il vit en société, l'homme cherche à élaborer patiemment et collectivement des lois communes. Un processus qui a le mérite d'aboutir à la création de textes respectés, car nés du mariage de raison entre la sagesse et la contradiction.

Ne soyez donc pas surpris de trouver les rubriques faits de société moins grandes et les lois de la République plus petites.

mardi 15 novembre 2011

Carence

Monsieur le Président de la République, cher Nicolas

C'est un effet de calendrier qui me conduit à vous écrire ces mots. La Saint Nicolas approche, tout comme le terme de votre mandat et la sagesse des enfants est en définitive le garant de la crédibilité de leur saint patron. Les enfants de la République sont tellement énervés par tout le vacarme médiatique... Je suis certain qu'un peu de calme leur rendrait la sagesse qui leur manque.

Que les choses soient claires. Lors de la dernière présidentielle, je n'ai pas voté pour vous. Ni pour votre adversaire, d'ailleurs. Dans les secondes qui ont suivi mon entrée dans le bureau de vote, je me suis rendu compte encore une fois que je n'avais rien à y faire. Le sens du devoir du citoyen que je suis m'y avait conduit, mais une fois de plus, ma conscience de journaliste m'a fait tourner les talons. Je suis incapable d'être censeur et partie.

Bref, j'ai conforté par mon abstention cette neutralité qui me permet de compter les points de la vie politique française depuis deux bonnes dizaines d'années. Mes oreilles sont usées. Et pour vous dire les choses comme elles me viennent à l'esprit, je compte sur vous. Oui, ça n'est pas idiot de compter sur vous pour oser des aventures nouvelles. Vous en avez tant essayées.

Je compte sur vous pour trouver le moment, quand vous aurez estimé qu'il sera venu, de consacrer un peu de votre temps précieux à quelques instants de silence, applicables à vos fidèles, aussi. Et à vos opposants, d'ailleurs. Une sorte de sacrifice rituel que chaque citoyen offrirait à la Nation, poussé par la certitude qu'il apportera cette sérénité qui remet les idées en place. Pourquoi pas une journée de silence. Ou plus précisément une journée de carence en parole politique, non indemnisée.


dimanche 6 novembre 2011

Battre en retraite

Ce budget 2012 sera « l’un des plus rigoureux depuis 1945 », a prévenu François Fillon. Pourquoi le Premier ministre a-t-il pris cette période comme référence ? C’est en effet une année sombre pour le gaullisme.

Fin 1945, la discussion du budget a valu au Général une retraite anticipée. Et ce n’est pas le gouvernement qui voulait imposer la rigueur, mais la première Assemblée nationale constituante, qui souhaitait tailler dans les crédits de la Défense nationale.

« Comme s'ils voulaient eux-mêmes souligner que leur attitude n'avait été que manœuvre et palinodie, les malveillants se turent tout à coup. L'ordre du jour adopté par l'Assemblée quasi unanime ne me dictait aucune condition. Après quoi, le budget fut tout simplement voté. Mais, bien que ma défaite n'eût pas été accomplie, le seul fait qu'elle eût paru possible produisit un effet profond. On avait vu mon gouvernement battu en brèche par la majorité au long d'une discussion remplie de sommations menaçantes. On sentait que, désormais, il pourrait en être de même à propos de n’importe quoi. On comprenait que, si de Gaulle se résignait à cette situation pour tenter de rester en place, son prestige irait à vau-l’eau, jusqu’au jour où les partis en finiraient avec lui ou bien le relégueraient en quelque fonction inoffensive et décorative », écrivait de Gaulle dans ses Mémoires de Guerre.

Il lui a fallu près de 20 ans pour réussir son come-back. C’est long, mais après tout, François Fillon est encore un jeune quinqua. Il ne va pas battre en retraite... avant 65 ans ? A la rigueur 67.

dimanche 30 octobre 2011

Une nuit

Des politiques qui établissent des programmes dans le but de les présenter au suffrage universel, ça doit être trop simple. Des sondages qui permettent de savoir si ceux qui ont été élus ou ceux qui prétendent l’être bénéficient d’une opinion favorable ou non du corps électoral, c’est probablement devenu ennuyeux.

Heurerusement, la pipolisation de la politique est là pour divertir les esprits lassés par le train-train quotidien d’une démocratie ordinaire et pimenter un peu cette union - passionnelle certes, mais qui s'use parfois - entre le peuple et ses représentants.

Fort de ce constat, l’hebdomadaire Closer a jugé utile de commander un sondage à l’institut Harris Interactive sur le potentiel de séduction des politiques français. Ségolène Royale fait fantasmer la majorité (52,1 %) et c’est avec Arnaud Montebourg que le plus grand nombre de personnes interrogées (48,2 %) rêve de passer une nuit.

A croire que les fantasmes finissent tués par les 1.825 autres nuits que dure un quinquennat.

samedi 29 octobre 2011

Du pareil au mème

Le mème existait avant.

Les religions n'ont accouché d'autres idoles et doctrines que celles révélées par des hommes qui avaient pris note de propos entendus auprès de certains de leurs semblables qui racontaient des dires rédigés plus ou moins honnêtement d'après les récits de ceux qui racontaient comment ils avaient vu l'ours.

Les dogmes économiques et politiques ont suivi le même chemin. De travers. Dans le même chambardement d'incertitudes, de renoncement et de manipulations.

Aujourd'hui les réseaux et les écrans ont industrialisé la production. Le taux de reproduction malencontreuse de la foi, des faits et des certitudes s'est décuplé, universalisé, quand dans le même temps les émetteurs de pensées - morts, absents ou complices - ont fui le réel pour les certifier.

A chaque instant cette marmelade intellectuelle s'étale et nous en mangeons des tartines qui nous laissent sur notre faim. Celle du corps ou de l'âme. Du pareil au mème.

mardi 18 octobre 2011

Tant

Il faut laisser du temps au temps, même quand, toutes antennes déployées, pris dans l'immédiateté, on se sent irrité par des parasites. Il se peut que ce soit juste un brouillard électronique qui brouille l'image. Bref : savoir rester sage quand on prétend l'être.

C'est probablement ce manque de sagesse qui explique la fixation du CSA sur le PS : pourtant réputé indépendant, il se retrouve sur la même longueur d'ondes que certains politiques.

La primaire socialiste n'aurait été inventée que pour s'emparer du pouvoir médiatique, remplir les lucarnes, occuper le terrain jusqu'aux derniers pixels des quatre coins de l'écran. D'ailleurs, il s'est même murmuré que ça n'était pas le PS qui avait conçu le programme, mais une société de production de téléréalité.

Cela dit, c'est assez effarant d'entendre aujourd'hui quelqu'un se plaindre de ne pas savoir où trouver un poste dans lequel causer quand on voit l'augmentation vertigineuse de l'espace médiatique ces dernières années.

Oubliée, l'antienne hertzienne. Elle est révolue, l'époque où la voix de la France et celle des ondes ne faisaient qu'une. Tant de temps de parole et tellement de chaînes... C'est un peu le far west : l'espace médiatique semble s'étendre à l'infini et il faut le conquérir en permanence.

A croire, même qu'aujourd'hui, pour ne pas se retrouver dans le journal de Claire Chazal ou de l'un ou l'autre de ses collègues - pour peu qu'on dispose d'un minimum de notoriété - il faut vraiment être allergique aux caméras. Ou n'avoir rien d'intéressant à dire. Ou avoir enchaîné tellement de mauvaises audiences sur les programmes précédents que plus personne n'a envie de vous entendre.

La loi de l'audimat est cruelle. Les chaînes sont impitoyables et le public ingrat. C'est comme ça. C'est la loi du marché audiovisuel et, hormis quelques irréductibles gauchistes, tout le monde s'y soumet et beaucoup la promeuvent. On ne va tout de même pas se mettre à regretter les messes cathodiques des antennes d'antan. Si ? Vous m'en direz tant.

jeudi 13 octobre 2011

Formol

Alors ? Forte ou molle, la gauche de demain ? On verra à l'usure.

Mais cette question de morphologie est importante : si la gauche devient folle, elle est morte assurent les uns, tandis que les autres craignent qu'une gauche amorphe finisse par plonger l'électeur dans les bras de Morphée.

En effet, ça n'est pas qu'une question de forme : si la gauche venait à formuler des réformes malformées, elle pourrait morfler, voire même se faire démolir par une droite mortelle.

Elle doit donc resserrer les boulons à grands coups de clé à molette pour être formidable. Trouver une sorte de synthèse où la fusion de la gauche molle et de la gauche forte ne finisse pas dans le formol.

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Mise à jour du 17 octobre 2011, au lendemain du second tour de la primaire du PS. Pour être parfaitement cohérent avec le fond de ma pensée sur ce que je crois susceptible de se produire en avril 2012 : je ne sais pas si Hollande c'est la gauche molle, mais je suis certain que Le Pen, c'est la Gaulle moche.

samedi 8 octobre 2011

Permanence

Je suis un grand naïf. Vingt ans de journalisme. J'ai la chance d'avoir pu l'exercer aussi bien en région qu'au national. Au ras des pâquerettes et dans les hautes sphères. Croiser les vues donne de la dimension.

La grande idée de la Démocratie que je me fais depuis longtemps, j'ai pu ainsi la confronter au réel et au virtuel.

Ce qui m'a toujours poussé, c'est la notion de fidélité au mandat, cette capacité des élus à rester attachés à leurs électeurs ; leur aptitude à vérifier qu'ils ne s'écartent pas de la mission que ces derniers leur confient.

J'ai vu sur chacun des territoires où j'ai travaillé fonctionner les permanences des élus, les tournées de marchés, les passages aux dîners de vieux et dans les assoces de jeunes. J'en ai couvert, des conseils de quartiers et des rendez-vous participatifs.

J'ai toujours été impressionné par les moyens que les élus consacrent à ces rendez-vous IRL : des locaux, du personnel salarié, des heures précieuses de leur temps. J'ai cru que cet effort, ces femmes et ces hommes qui nous gouvernent seraient capables de le transposer URL. Grand naïf, je suis même convaincu que c'est en le faisant qu'ils peuvent la rajeunir, cette Démocratie vieillissante.

Alors j'ai regardé comment ils se comportent ici, ces représentants du peuple. En bientôt trois ans sur Twitter, j'ai reçu moins d'une dizaine de réponses à une centaine de questions d'intérêt général (oui, j'ai tenu la comptabilité) posées aux politiques. Et je dois préciser que ce sont la plupart du temps des assistants - que je salue pour leur dévouement - qui ont pris la plume.

Pourquoi ce mépris de l'URL ? Parce qu'IRL, quand un concitoyen rencontre son élu lors d'une de ses permanences, il peut en naître une relation redevable susceptible de produire des dividendes électoraux. En face, la reply à un tweet, ça vaut peanut. A moins qu'il ne s'agisse de converser avec un blogueur influent ou une pointure de la presse nationale pour s'assurer un peu de notoriété.

Je crains autant la permanence des élus que celle de leurs mauvaises habitudes.

lundi 3 octobre 2011

Destinée

Je ne sais pas ce qui me gonfle le plus. L'hyperprésidentialisation du régime ou ceux qui l'entretiennent.

En terminale, à la lecture de Rousseau ou de Hobbes, j'avais fini par croire qu'un président de la République digne du nom de cette dernière n'est qu'un réceptacle de voix agglomérées ne valant ni plus ni moins que celles figurées par la représentation nationale.

Un an plus tard, les cours de droit constitutionnel venaient contrarier cet idéal : il fallait bien mettre les valses gouvernementales au pas. L'instabilité, défiant toutes les lois de la mécanique, tendait à l'inertie. Admettons. Il fallait admettre. J'ai admis la nécessité du 4 octobre 1958.

Et nous voilà un demi siècle plus tard dans le même pays, avec les enfants et les petits-enfants des mêmes citoyens. Le niveau a-t-il baissé depuis qu'on a décidé d'emmener les huit dixièmes d'une classe d'âge au bac, je n'en sais rien.

Les tribuns n'ont pas fait beaucoup d'efforts pour pousser la plèbe au meilleur. Les parents ont déconné, l'éducation a merdé, la télé en a profité... Je ne sais pas qui a commencé. Mais ce qui me consterne n'est pas là. C'est ailleurs.

Ce qui m'afflige, c'est qu'au fil des décennies de cette Ve République on nous a – ou nous nous sommes – habitué(s) à l'idée que pour qu'elle fonctionne, cette Démocratie moderne, il lui fallait un patron. Un vrai. Le mec qui voit pour nous et qui décide à la place des autres, parce que sinon, tous ces avis contradictoires, ça finit pas un bordel innommable. Bref, un seul ego pour les gouverner tous.

Même au PS, où j'ai pourtant cru qu'au milieu des ruines du mur de Berlin on aurait eu la sagesse de ramasser quelques petits cailloux du collectivisme pour les garder en souvenir ou pour coller des scrupules aux despotes en marche. Je crois même que les primaires ne vont servir qu'à trouver lequel de tous les potentats potentiels sera plus puissant que les autres.

Voilà donc un candidat sortant de plus en plus isolé qui se retrouvera confronté à un adversaire qui aura tout fait pour se retrouver seul. Pour présider à quoi ? Nos destinées ou la sienne ?

mercredi 28 septembre 2011

Œuf

L’astronomie, c’est un peu comme une cuisine : les cieux sont remplis d’aliments et de condiments qui ne demandent qu’à être savamment assemblés.

De la constellation de la Dorade en plat de résistance à la nébuleuse planétaire de l’Esquimau en dessert, sans oublier celle du Crabe en entrée (j’en passe et des meilleures), la carte de ce restaurant astral est alléchante. Mais voilà une découverte qui devrait l’enrichir encore.

Des astronomes de l’Observatoire européen austral ont photographié une étoile située à quelque 13.000 années-lumière dont le cœur, parfaitement rond et beaucoup plus vif que son contour blanc un peu brouillé, lui vaut d’avoir été baptisée "nébuleuse de l’Œuf au plat".

On peut aussi accommoder un aussi bel œuf autrement : avec un peu de voie lactée et quelques coups de fouet, il doit y avoir moyen de concocter un bon lait de poule.

lundi 26 septembre 2011

Mathématique

Voilà donc un basculement historique. Le Sénat à gauche. Tout a été dit, écrit, commenté sur cette première sous la Ve République qui n'est en fait pas une surprise. Les projections les plus sages annonçaient cette révolution "mécanique" en 2014. D'où les réactions, à droite :

Une déception mais pas une surprise (...) C'est mathématique...

Il faut toujours se méfier de l'argument "mathématique". S'il est incontestable que la sociologie électorale est capable de dégager, à partir de résultats et de tendances recueillis sur la durée, des projections fiables, il n'en reste pas moins que la réalité d'une élection repose sur son corps électoral, fait de chair, d'os, et dont les humeurs font parfois tomber les déterminismes les mieux assis.

D'où la précipitation en 2011 de la bascule du Sénat annoncée en 2014. Qu'est-ce qui a fait mentir les chiffres ? La réalité humaine, les conditions matérielles d'existence de ces élus locaux dont j'avais dit, voici un peu plus de dix ans, dans une enquête qui n'était pas restée lettre morte qu'ils allaient mal. Permettez-moi de me citer :

Toutes les réformes institutionnelles des collectivités territoriales ces dernières décennies ont fait en sorte de rendre les maires inutiles, caduques, désuets. Tout a été joué par nos gouvernants comme si la France des villages était condamnée. Alors messieurs qui détenez le pouvoir, messieurs les députés, sénateurs et autres maires de France qui ont réussi en politique, si vraiment cette France-là est condamnée, dites-le nous franchement, qu’on prépare dès à présent ses funérailles et qu’on organise la succession. Car il faut voir de quoi le demain politique sera fait.

Non seulement en dix ans aucune réponse claire n'a été apportée à cette question, mais de transferts de charges en réforme des collectivités locales, de baisse des dotations de l'État en hésitations des banques à leur prêter de quoi lancer des projets, les lendemains ont déchanté.

Bref, les grands électeurs de dimanche se sont transformés en tout petits élus, à peine plus grands que leurs concitoyens. Un rapetissement que les mathématiques n'expliquent pas.

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Vous pouvez écouter ce billet ici.

jeudi 22 septembre 2011

Fable

C'est une histoire inénarrable, de femmes et d'hommes en tailleurs et costards impeccables, aux moeurs irréprochables.

Mais pour une raison inexplicable, à cause d'affaires inempêchables, de magistrats implacables (ou indécrottables, c'est selon), de journalistes intraitables (ou incapables, c'est aussi selon) et d'élus inapprochables, nos doutes inébranlables sur la république irréprochable vacillent. C'est implacable.

Pire, de valises introuvables (merci @flying_dunneley) en États insolvables, de pertes incalculables en rumeurs intolérables, on en vient à trouver lamentables les experts incontestables.

Les coupables ? Introuvables. Intraçables. Un mystère insondable, rendant de façon inimaginable les troupes embrigadables dans les rangs - y compris les moins respectables - de ceux qui d'un revers de la main veulent nettoyer la table.

Inexcusable ? Impardonnable ? Intolérable ? Minable ? Je préfère imaginer que tout ceci n'est qu'une fable.

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La version audio de ce billet est ici.

mardi 20 septembre 2011

Faute morale

Des mœurs, des fautes, de la morale... Décidément, la revue de presse du jour sent le retour à l'ordre...

DSK à la télévision : Faute, audience et règlement de comptes.
Nucléaire: Besson accuse Joly de " mensonge " ou de " faute ".
Le ministre UMP Laurent Wauquiez a pointé mardi sur Itélé une "faillite morale" du PS.
Villepin-Chirac : Royal dénonce des mœurs politiques "dégradées".

La "vertu républicaine face aux affaires" a déjà pointé le bout de son nez. Les donneurs de leçons en "rectitude politique" vont débarquer... D'ici à ce que les lapidations, l'inquisition et les autodafés reviennent, il n'y a qu'un pas.

Comme disait André Comte-Sponville...
La morale n'est légitime qu'à la première personne. La morale ne vaut que pour soi ; pour les autres, la miséricorde et le droit suffisent.

Parler de faute morale est une faillite politique.

mardi 13 septembre 2011

La bourse du péquin

Est-ce qu'un gros renfort de bourses peut arriver à pied par la Chine ? Excusez-moi : je n'ai pas pu résister à l'envie d'avoir recours à cette contrepèterie - probablement la plus éculée du genre - pour introduire mon sujet.

Car oui, la question se pose : à quoi joue la Chine dans cette crise boursière que nous traversons ? Un autre éculé du genre, premier enfant d'une famille de la petite bourgeoisie milanaise, semble aimer la course de fonds sur la grande muraille. C'est le Financial Times qui posait il y a peu la question : et si Pékin venait à la rescousse de Silvio Berlusconi, par ailleurs vénérable maître en chinoiseries diverses.

Ni une ni deux, les marchés se sont rassurés. Mais deux et trois, ils se sont ensuite effondrés. Il n'empêche : la Chine s'intéresse de très près à la zone euro et souhaiterait même étendre sa coopération financière, économique et en matière d'investissements avec l'Europe.

Mais voilà le problème : notre Euro fort - si tant est qu'il le reste - ne le serait que parce que le Yuan fait semblant d'être faible. Et là, ça achoppe.

Bref, vous l'aurez compris, comme dirait l'autre dont j'ai oublié le nom - ça doit être l'anosognosie - entre la bourse de Pékin et celle du péquin, difficile de toucher l'une sans faire bouger l'autre.

jeudi 8 septembre 2011

Coca light

Comme disait Patrick Le Lay en 2004, "Ce que nous vendons à Coca-Cola, c'est du temps de cerveau humain disponible". Que fait Coca-Cola avec ces bouts de cervelles ? Elle communique pour défendre son lot quotidien (1,5 milliard d'unités) de bouteilles vendues dans le monde. Et elle y arrive... sauf quand la politique s'en mêle.

Salée, l’addition du manque à gagner induit par la taxe sur les sodas sucrés : Coca-Cola, aurait peut-être bien failli suspendre un investissement de 17 millions d’euros ; à soustraire aux 100 millions d’euros que la mesure devrait rapporter.

Mais il parait que ce communiqué est une "erreur de communication". Aussi je vais laisser à Tristan Farabet, PDG de Coca-Cola entreprise ou Véronique Bourez, PDG de Coca-Cola France le soin d'en discuter avec Hubert Patricot, président pour l'Europe du groupe. On notera toutefois que les canettes de boissons gazeuses sont toujours sous pression.

Toujours est-il que le plus fâcheux, c’est que cette idée peut faire jurisprudence. Et si, en représailles à la suppression du régime du bénéfice mondial consolidé (qui permet de déduire des bénéfices les pertes enregistrées par les filiales étrangères), Total ou Vivendi décidaient de cesser de commercer avec le reste du monde ?

Et si les hôtels de luxe ripostaient à l’instauration de la taxe de 2 % sur les palaces en marquant tricard ceux qui ont voté pour ? Imaginez un peu tous ces élus en déplacement obligés de dormir au Formule 1.

Manquerait plus que le Fouquet’s annule les soirées de victoire présidentielle. Chez Mac Do au Coca light, ça le fait moins.

mercredi 7 septembre 2011

Chasses

Voilà donc Pierre Charon réputé en disgrâce. Lui qui, pourtant, voici trois ans, protégeait si vaillamment Carla Bruni devenue first lady est banni de l’UMP.

Il n’aurait pas dû chasser sur les terres de Chantal Jouanno, éviter de filer la métaphore du lit au tatami et se coucher. Mais non.

Il fut pourtant un zélé serviteur. Quand le couple présidentiel était livré en pâture aux rumeurs, c’est lui qui, à l’affût, lançait les battues médiatiques et dégommait les canards. Le doigt sur le chien, l’ancien conseiller en communication de Nicolas Sarkozy avait traqué un « complot organisé », allant même jusqu’à achever Rachida Dati.

La suite ? Privé de réunion quotidienne de l’état-major du président, puis prié d’aller organiser les battues de sangliers à Chambord. Il vient d’ailleurs d’en démissionner, son instinct de chasseur l’amenant probablement poursuivre d'autres proies... ou à les rabattre.

mardi 23 août 2011

Ardoises

Avant les vacances, un candidat à la présidentielle assurait dans une émission politique qu'une campagne ne se joue pas sur Twitter. Je vais taire son nom, ça serait trop facile de le stigmatiser tant sont nombreux ceux qui, postulant aux mêmes fonctions, ont tenu d'aussi ridicules propos.

Hormis d'irréductibles Gaulois qui craignent que le ciel leur tombe sur la tête s'ils touchent un clavier et les quelque milliers de concitoyens qui vivent encore en zone blanche, le corps électoral est connecté. Selon Médiamétrie, La France comptait 38 millions d'internautes en février 2011 (71,3 % des Français de 11 ans et plus).

Si la grande majorité se contente de prendre des nouvelles de son compte en banque, du temps qu'il va faire demain, de l'état de la France et du reste du monde, le reste est plus actif, voire même participatif, notamment sur les réseaux sociaux et dans les commentaires.

Le Net, c'est l'estaminet des temps modernes : on peut y lire gratuitement le journal en écoutant l'analyse de Gustave ou de Mouloud. Il n'est pas nécessaire d'avoir fait une école supérieure pour comprendre que c'est aujourd'hui dans ce vaste bistrot 2.0 qu'on se forge une opinion comme hier autour du zinc.

De même, on peut admettre sans avoir un QI supérieur à la moyenne qu'aujourd'hui comme hier, le quidam curieux d'obtenir des réponses à son "quoi de neuf", les journalistes qui cherchent des infos, leurs patrons qui les vendent et ceux qui en ont en stock ont tous et tout intérêt à s'y retrouver.

C'est donc par simple bon sens et souci d'efficacité - nonobstant le plaisir de la conversation et des cyber-cacahuètes - que les gens normalement constitués se rendent désormais au café du commerce en surfant.

Pour en revenir aux inepties de ce candidat à la présidentielle qui assurait dans une émission politique qu'une campagne ne se joue pas sur Twitter, j'invite ce dernier - et ses nombreux collègues - à mettre à jour la liste des troquets où ils veulent offrir des tournées générales et serrer des paluches d'électeurs pas si virtuels qu'on le dit.

Sites d'information, comptes sur Facebook ou Twitter, officiels ou fakes... les enseignes se sont tellement multipliées ces derniers temps qu'Europe1 a décidé d'y consacrer une bonne tranche de sa grille.

C'est judicieux et on reconnaît bien la Lagardère's touch dans le propos d'Emery :

Et en 2012, il y a en France une élection présidentielle. Et vous, comme moi, savons que les réseaux sociaux vont jouer un rôle. On ne sait pas lequel ni son ampleur, on sait juste qu'ils vont prendre part à la chose...


Bref, dans nos open-bars numériques, la campagne pour 2012 est ouverte : les infos sont gratuites, on peut se rincer à l'oeil, mais n'oubliez jamais avant de lever le coude que, primo, la gueule de bois, c'est désagréable et, deuxio, il faut parfois des années pour effacer les ardoises.

dimanche 21 août 2011

Poudre

Entre la poudre aux yeux et ceux qui y mettent le feu, l'histoire de notre civilisation est explosive.

Certains misaient, voici quelques décennies et de sinistre mémoire, leur peu de capital sur la dénonciation de "races inférieures" pour se refaire une santé politique. Un moteur à gaz qui a effacé de la surface de la planète des millions de femmes et d'hommes qui ne demandaient qu'à y vivre.

Mais ces horreurs sont lointaines, maintenant, nous dit-on. L'humanité, qui avance toujours dans le bon sens, se serait civilisée, assagie, modérée. Devant un tel étalage de folie, elle aurait appris à raison garder. J'ai des doutes.

Je vois ici des formations politiques prospérer en se nourrissant de la crainte que les puissants dictent aux misérables. Juste à côté, d'autres, voisines, jouent de cette peur que les faibles inspirent aux forts dès qu'il se mettent à s'interroger sur la juste répartition des richesses.

Les fins de races agitent aussi la menace que le métissage fait peser sur la pureté de leur espèce. L'étranger, non content de vider les poubelles des autres, voudrait remplir son propre frigo.

Bref, ce qui m'inquiète, c'est de ne plus saisir dans l'argumentaire de nos politiques qu'une offre de trouille. Celle que les uns inspirent aux autres et vice-versa. Je sais bien que la plateforme anxiogène permet de vendre de la poudre de perlimpinpin à des cancéreux. Mais quand ceux qui nous gouvernent ou qui prétendent y parvenir s'y mettent, c'est celle d'escampette que j'ai envie de prendre, avant que ça nous pète à la gueule.

vendredi 19 août 2011

Mortel ennui

L’étude des chercheurs de l’université de Queensland n’en finit pas d’affoler les téléspectateurs.

Ces heures que nous perdons scotchés au poste ruineraient inexorablement notre espérance de vie à raison de 22 minutes pour chaque heure passée devant.

Par ailleurs, ce sont les programmes de téléréalité, de plus en plus présents à l’antenne, qui sont les plus vus.

Ajoutez-y le fait que les participants aux émissions de téléréalité, d’abord fascinés par l’envie d’en être, finissent de plus en plus souvent devant les tribunaux pour réclamer des salaires décents - sans parler de ceux qui dépriment, se droguent ou mettent fin à leurs jours - et vous obtiendrez le résultat d’une terrible équation : on s’empoisonnerait la vie en se nourrissant du mortel ennui de ceux qui se tuent à le porter à l’écran.

jeudi 18 août 2011

Panne

Le changement juste d’Eva Joly l’atteste : les communicants politiques manquent d'imagination.

Outre le fait qu’on ne peut s’empêcher de chercher les inspirations dans les slogans éculés de campagnes déjà labourées, la difficulté de l’exercice s’est accrue avec la rudesse de la conjoncture : la crise rend les mots sensibles.

Difficile de vendre du changement, de l’autre ou du possible quand l’horizon est bouché.

Périlleux de faire appel à l’union des talents ou au tous ensemble quand le repli pousse au chacun pour soi.

Pas simple d’évoquer l’idée de justice sans prendre le risque de passer pour un dangereux révolutionnaire. Impossible de la jouer tranquille quand nos forces nous abandonnent...

Et si ça n’était pas l’imagination des communicants qui était en panne, mais la politique elle-même ?

jeudi 11 août 2011

A l’anglaise

L’Albion serait-elle redevenue perfide ? L’actualité remet au goût du jour les mots que Bossuet ou Madame de Sévigné réservaient à nos voisins.

Cette fois, la perfidie sévirait à la corbeille à coup de rumeurs. C’est un tabloïd britannique qui aurait lancé des bruits désobligeants sur un de nos fleurons bancaires.

Une rumeur sortie de la Manche ? Encore. Voici plus d’un an, d’autres sombres murmures s’affairaient à déstabiliser le sommet de l’État français. Carla Bruni, Benjamin Biolay… Souvenez-vous. Et d’où venait-elle, cette infamie ?

Pierre Charon, l’ancien conseiller en communication de Nicolas Sarkozy, s’interrogeait sur le rôle de la presse anglaise, déjà.

Bref, les rumeurs vont, et comme souvent dans notre histoire, quand on ne sait pas trop d’où elles viennent, on les voit filer à l’anglaise.

lundi 8 août 2011

Notamment

Une mauvaise note dans le concert des nations et voilà la cacophonie. La faute à qui ? Au chef d’orchestre Obama ? Aux musiciens de la scène internationale qui estiment que l’oncle Sam les mène à la baguette depuis trop longtemps ?

Rien de tout ça. C’était une bourde, assure Barack, qui a notifié ses griefs à qui de droit, notablement énervé qu'on entache ainsi sa notoriété.

Mais bon. Une erreur de calcul, ça peut arriver à tout le monde. Même à Standard and Poor’s. Il faut dire que quand on commence à compter les dollars en trillions, ça ne doit pas être simple.

Mais comment est-ce possible ? Cela dénote-t-il un manque de sérieux ? On voit mal ces notables de la finance commettre des erreurs dans leur prise de notes.

Alors le doute plane. En fait, il faudrait inventer un organisme qui note les agences de notation. Et puis par mesure de sécurité, une agence pour vérifier que le travail de ces experts n'est pas trop politiquement connoté, notamment.

samedi 6 août 2011

Dupes

En affaires comme en politique, plus rien ne se construit sur fondation. On spécule sans fondement. Il est naturel de perdre du jour au lendemain ce que l'on a gagné la veille, pourvu qu'entre temps l'investissement produise immédiatement ses quelques minutes de dividendes.

D'où l'intérêt de forger des alliances, de contracter des garanties. Qui finance la campagne de qui ? Qui, en retour de la générosité de l'un, favorise les contrats de l'autre ? Des questions d'une banalité si affligeante que nous ne nous les posons plus, dans un monde où la défense du libéralisme l'a confusément emporté sur celle des libertés individuelles.

Le devoir d'entreprendre à tout prix - sauf celui du risque - est admis comme étant supérieur au droit de penser, y compris chez les marchands et les banquiers. Prêteurs, tueurs... ce sont les gages qui commandent, qui ordonnent, qui exécutent.

L'idéal collectiviste est mort, l'éthique du libéralisme aussi. Nous devons survivre dans cette sorte d'anarchie mafieuse d'un non-marché dont les fossoyeurs espèrent que nous resterons les dupes.

mardi 2 août 2011

Matrice

J'avais promis, car ça me taraude, en tant qu'homme, fils, mari et père. Les hommes, les femmes (mais aussi les hommes et les hommes, tout comme les femmes et les femmes) : ce qui nous sépare, nous rapproche, nous colle ou nous écarte. J'avais promis de consacrer un peu de mes vacances à réfléchir de temps en temps à un billet sur la différence entre les hommes et les femmes.

C'est plus d'une vie qu'il faudrait y consacrer pour y parvenir. J'ai échoué. Probablement. Parce que j'ai compris que ça me dépasse. Oui, ça me dépasse cette masculinité qui dépasse de moi. Et parce que oui, il faut accepter que ça nous dépasse, nous, les hommes, ce sexe exigeant qui veut s'extérioriser. A tout prendre ; à tout prix.

Ce qui dépasse des femmes est beaucoup moins dur et exigeant. Des fesses et des seins qui se peau-lissent ardemment ou tendrement. Leur vouloir-vivre à elles est dedans.

Cet endroit précis où nous avons passé tant de mois heureux avant d'être un jour poussés par l'envie d'en sortir. Puis, quelques années plus tard, par celle d'y revenir. Là où, au fond, nous sommes devenus des êtres humains.

Mais nous n'y sommes que des passagers, des hôtes, ce lieu n'est pas le notre. Il ne s'ouvre à nous que par l'amour de la maîtresse de céans. Nous ne sommes que des amateurs de la matrice.

lundi 1 août 2011

Pipeau

C’est un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître. Juste avant le journal télévisé, un programme incitait les enfants à aller se coucher. Aujourd’hui, c’est plutôt le contraire. Les parents ont de la peine à déscotcher leur progéniture de la lucarne.

Depuis, les chaînes privées sont nées, ont prospéré ; les canaux et les écrans se sont multipliés… Et comme le redoutait André Malraux, se sont créées des « usines de rêve » qui cherchent à gagner de l’argent.

Pour cela, écrivait le ministre de la Culture en 1967, elles font appel « au maximum à l’instinct car c’est ce qui rapporte le plus ». Cela dit, ces temps audiovisuels n’étaient évidemment pas aussi roses que le pyjama de Pimprenelle : c’était l’époque de la télé d’État, de l’information contrôlée par le pouvoir.

Et juste après Bonne nuit les petits, à sa façon, le JT endormait les parents, aussi, sur un air de pipeau. L’air, parait-il, aurait changé.

samedi 16 juillet 2011

Faux-culs

Je ne sais pas si Eva Joly a eu tort pour avoir raison, ni si François Fillon a de bonnes raisons d'avoir eu tort. Je constate simplement que cette polémique est facile. Parce qu'elle secoue tout à la fois le patriotisme et les fondements de la citoyenneté.

Car oui, je suis de la vieille école. Celle où on ne devenait libre qu'en s'acquittant de sa dette envers la nation : travailler, se libérer des obligations militaires, fonder une famille, voter, payer des impôts et éprouver un sentiment de patriotisme exigeant.

Celui que l'on ressent quand, une fois ces missions accomplies, ces joies et ces peines éprouvées, on est en droit d'attendre de sa patrie qu'elle exige de ses enfants autant qu'elle est en mesure de leur donner.

J'ai nettoyé les pissotières, essuyé la désolation que cette captivité fait naître pendant d'interminables classes, puis ramassé ma dignité, fait marcher des hommes au rythme du gauche droite de l'ordre serré, fait du trou. Officier appelé. J'ai défilé un 14 juillet.

Je ne sais pas comment des politiques et des éditorialistes qui, pour la plupart, ont été pistonnés, planqués, ou réformés peuvent trouver l'audace d'ouvrir leur gueule sur la Grande Muette.

J'ai servi sous les drapeaux. A l'époque, la conscription n'était pas abolie. J'y ai croisé de gros cons et de belles âmes. J'ai discipliné mon antimilitarisme. Et j'ai compris que ces gens-là, comme les autres, méritent le respect. Qu'ils ont autant le droit de représenter la république un 14 juillet que les enfants des écoles, que leurs instituteurs ; tout comme les vieux qu'on laisse crever dans les maisons de retraite et ceux à qui on délègue le soin de leur changer les couches.

Parce que de la naissance à la mort, il faut bien admettre que nous sommes tous soumis à cette corvée de chiotte essentielle. Même les faux-culs.

jeudi 30 juin 2011

Fonds de commerce

Il est parfois équitable, électronique, se pratique dans des établissements, dans la rue ou entre les nations. Certains de ceux qui l’exercent ont pignon sur rue. D’autres sont moins sédentaires. C’est probablement le plus vieux métier du monde.

Il a tracé des routes sur les océans et au travers des montagnes ; fait tomber les frontières des langues. Il a donné naissance aux pirates, marchands, douaniers et contrebandiers ; à des actes, des codes, des lois, des tribunaux et des jurisprudences.

Ceux qui n’en respectent pas les règles s'exposent au courroux des leurs partenaires abusés. Des bagarres et des procès suivent toujours la violation de ses règles. Des guerres, mêmes parfois, mettant un terme à toute relation de ce genre.

Mais quand cessent les hostilités, il revient. On se rend alors compte combien il est précieux, y compris pour négocier la libération d'otages. Et on peut aussi se demander ce qui conduit des êtres humains à faire de leurs semblables une monnaie d'échange.

C'est probablement vieux comme le monde, ça aussi : en son nom, des hommes réduisent leurs congénères à l'état d'esclaves, oubliant qu'il est né pour échanger les richesses et non de partager la pauvreté. Car il est un moyen. Pas une fin.

L'homme ne devient objet de négoce que quand les marchands n'y voient plus qu'un fonds de commerce.

mardi 28 juin 2011

Menteur

Oui, il faut bien le reconnaître : il est grand temps de réintroduire les cours de morale, comme le souhaite Luc Chatel. Il a raison : "Qui vole un œuf vole un bœuf" et "Pierre qui roule n'amasse pas mousse".

Regardez par exemple cette vague phénoménale de triche au bac, ça fait peur. Ils n'arrêtent pas d'en parler à la télé, qui ne ment jamais. Enfin, il peut arriver des journalistes manquent de sérieux, d’éthique et de déontologie, comme dirait Jean-Pierre Pernaut, qui s’y connaît, mais c’est très très rare. Heureusement, le ministre de l'Éducation nationale veille au grain et il ne triche pas. Enfin, parfois, mais c'était pas de sa faute, il a pas fait exprès.

Considérons donc que ces écarts de conduite sont exceptionnels et qu'ils ne font que confirmer la règle. Sauf que le problème avec les exceptions, c’est que quand elles passent à la télé, elles n’échappent pas à la sagacité de nos sales gosses, qui passent leur temps devant, ces graines de sauvageons, ces fraudeurs aux exams en puissance. Et là, franchement, ça devient de plus en plus compliqué de leur faire la morale.

Parce que c’est toujours la même chose avec l’exemplarité : faut pas qu’il y ait de défaillance. Sinon, le moment venu de leur expliquer, à ces marmots insolents, que tricher ou mentir, c'est mal, ils vous répondront un truc du genre : "Bah, enfin, c’est pas grave ! Tout le monde le fait".

Luc Chatel a donc raison : il faut réintroduire les leçons de morale. D'ailleurs, je vais lui envoyer une lettre pour lui suggérer d'ajouter sur la liste des maximes au programme cette petite phrase de Pierre Corneille : "Un menteur est toujours prodigue de serments".

lundi 27 juin 2011

Chacun son tour

Tandis que de misérables assistés pédalent dans la semoule, la France entière s'apprête à ne plus river ses yeux que sur le fait majeur de l'actualité juilletiste : LE Tour de France.

Ce qui me rappelle une vieille blague : "C'est le seul moment de l'année où les Français se massent au bord des routes pour applaudir au passage de toxicomanes". Elle est facile, je sais bien, mais ça me fait toujours rire.

Ce qui est moins drôle, c'est le tour suivant. Car oui, il y a deux Tours de France en 2011. Vous l'ignoriez ? Le second est d'ailleurs parti avant le premier, avec des participants qui se précipitent sur la ligne de départ avant que les Français se mettent la tête dans le guidon estival.

Après la petite reine, le grand président. Ce tour qui a démarré fin juin 2011 ne s'achèvera qu'en 2012. Un épreuve longue, tortueuse, avec des routes droites et des pentes raides, des virages glissants, des câbles qui pètent, des changements de braquets, des coups de pédales en danseuse et des roues sucées.

Dans le second comme le premier, les droits de retransmission chèrement acquis permettront aux uns comme aux autres d'étaler l'image d'équipes soudées derrière leur leader. Seules les audiences seront dopées.

On se souviendra peut-être d'autres épreuves. L'enfer des pavés, c'est beaucoup moins glamour. Les 2.400 mètres de la tranchée de Wallers-Arenberg ne sont pas aussi télégéniques. Les salles terres ouvrières sous la pluie ne valent plus le fil des kilomètres de bitume avalés sous le soleil du 13 heures de Pernaut.

Au final, on acclamera celui qui franchira la ligne des Champs-Elysées. Et la France restée sur le bord de la route ? Comme l'écrivait Antoine Blondin, "Dans cet univers plein de bruit et de fureur, c'est le bruit des uns qui provoque la fureur des autres".

vendredi 17 juin 2011

Fumiers

Un antibiotique (du grec anti : « contre », et bios : « la vie ») est une molécule qui détruit ou bloque la croissance des bactéries, explique très bien Wikipédia.

J'ai juste une question très candide (mais je crois que beaucoup se la posent) : et si cette molécule et ses dérivées, après avoir sauvé tant de vies, se mettait à décimer l'humanité grâce au renfort des industries pharmaceutiques et agroalimentaires ?

Je ne suis pas scientifique, mais collecteur de faits. Ceux que j'ai pu recueillir de ce côté agricole m'amènent à m'interroger naïvement. J'espère que le lisier issu des élevages en batterie d'animaux gavés d'antibiotiques pour survivre jusqu'à l'abattoir n'est pas répandu pour fertiliser les les cultures destinées à notre alimentation et à celle des animaux dont nous nous nourrissons.

J'espère aussi que les bactéries multirésistantes produites par cette agriculture intensive ne peuvent pas traverser les frontières qui séparent le végétal et l'animal.

Je me souviens de ces scènes d'abattage de vaches folles. Cette grande époque où l'agroalimentaire avait réussi à nous rouler dans la farine en nous faisant avaler des animaux nourris avec leurs congénères incinérés.

Enfin bref. J'en sais rien. Mais j'ai un peu comme encore l'impression qu'en nous faisant bouffer de la merde, ils s'engraissent, ces fumiers.

jeudi 16 juin 2011

Notable

L'histoire de Louis van Proosdij n'en finit pas de soulever des questions. Elle m'a ému, interpellé et je m'en suis préoccupé parce qu'elle m'a, comme d'autres, renvoyé vers ces vieux doutes qui me travaillent depuis longtemps sur notre capacité - journalistes, blogueurs ou "simples" citoyens internautes - à dénoncer les injustices et oeuvrer pour qu'elles cessent.

En redéroulant la chronologie de cette soirée du mardi 14 juin 2011 où tout s'est noué, enchevêtré, pour faire naître un buzz exemplaire, je me me suis rendu compte que le premier cercle de diffusion de l'information était constitué de notables du Web : influents et tontons blogueurs.

Et c'est bien normal : tous connaissent Louis grâce aux heures et aux années qu'il a consacré - sacrifié parfois - à Internet.

Reste que ça m'a renvoyé à cette vieille impression selon laquelle, dans cet univers 2.0, nous n'avons pas vraiment changé les schémas féodaux : selon que vous serez cyberpuissant ou webmisérable...

Sauf que voilà : Louis, dès les premières lignes de son billet, a transcendé la douleur et l'humiliation de sa condition pour voir plus loin que son cas : "C'est en décrivant l'épreuve, en faisant fi de ma pudeur et de ma grande discrétion que j'ai une chance d'être entendu, et éventuellement que ça serve à d'autres".

C'est un message que les milliers d'anonymes qui ont pris fait et cause pour Louis ont reçu fort et clair, comme la preuve que tout n'est pas foutu, qu'on peut encore croire qu'une heureuse main du destin peut surgir pour vous sortir de la merde, quand bien même vous n'avez aucune relation.

Certes, c'est une nouvelle forme d'arbitraire, car on ne saura jamais si les notables du Web s'imposent en leur âme et conscience de ne soutenir que des causes universelles, et pas des cas individuels. Mais Louis a montré la voie, et ça, dans l'évolution des relations de pouvoir au sein de notre société numérique, c'est un fait notable.

jeudi 9 juin 2011

Réalité augmentée

Voilà. Ce petit blog souffle sa première bougie et ça m'a donné envie d'expliquer à ceux qui débarquent où ils ont mis les pieds.

Il y a 365 jours, donc, j'avançais à tâtons sur Twitter depuis un an. Comme beaucoup, sans trop savoir quoi en faire ni ce que j'y faisais vraiment.

Comme je suis un vieil internaute, je ne faisais qu'essayer de parfaire ma connaissance des évolutions du Web, histoire d'être un minimum capable de répondre aux questions de mes enfants, dont la naissance est postérieure à celle du Net.

J'ai probablement perdu des heures à écrire des choses parfaitement inutiles, au milieu desquelles d'autres moins mauvaises m'ont permis de lier contact avec des gens biens qui sont toujours là (je profite de l'occasion pour leur claquer une bise inestimable).

Des très célèbres qui ne tweetent maintenant plus et puis des inconnus devenus influents depuis : le monde comme il est et les destins comme ils se croisent.

Bref, un soir, frustré comme tant d'autres par le carcan des 140 caractères, j'a décidé d'exploser le format et de raconter des histoires. Des tweets à rallonges, comme le dit si bien mon vieux camarade de promo Vincent.

Une ou deux Chimay aidant, je me suis envolé dans une narration tweetestque (toujours d'actualité, d'ailleurs) qui, j'en étais alors convaincu, devait finir par me faire détester définitivement par ma minuscule communauté et me convaincre de supprimer ce compte qui me bouffait tellement de temps.

Mais ça ne se passe jamais comme on le prévoit. Au fil de l'histoire le nombre des followers a surpassé celui des unfollowers pour me faire toucher en plein récit la barre diabolique des 666. Je m'en souviens comme si c'était hier.

Moi dont le métier est de prendre du temps et du recul pour composer des papiers et des livres, j'ai pris plaisir à éprouver une nouvelle forme d'écriture : le direct, sans prompteur ni correction, avec la critique des lecteurs en temps réel. C'était le concept de chaque #twitstory : produire un texte au fil de la pensée.

Et j'ai aimé ça, au point de continuer, de livrer pendant des semaines des histoires immédiates, sans me poser de questions sur la façon dont elles étaient reçues, sans me soucier de perdre plus que de gagner.

Certains vous diront que j'ai pourri leur TL. D'autres confieront qu'ils me reprochaient de ne pas être là le soir pour leur raconter mes délires.

J'ai probablement écrit deux ou trois choses intelligentes au milieu d'un monceau d'inepties. En tout cas, ça m'a permis, comme toute forme d'écriture, de régler des comptes. Probablement surtout avec moi-même. Et je me suis réveillé un matin en me disant qu'il était temps d'arrêter l'aventure pour reprendre une activité normale.

Je ne sais pas ce qui en restera, ni de quoi demain sera fait. Je ne retiens qu'une chose : ce périple 2.0 aura prodigieusement augmenté la réalité du nombre des êtres humains susceptibles de changer ma façon de voir le monde.

mercredi 8 juin 2011

Tribunes

Faute ! Y'a faute. Pardon, c'est l'image qui me vient à l'esprit, moi qui ne suis pourtant qu'un piètre footeux, pour raconter cette histoire.

Ce petit côté ambiance de stade convient bien. Plus précisément cet instant du match où, voyant un des joueurs tricher ou l'arbitre se tromper, ça gronde dans les gradins. On se lève, on siffle on y va de son commentaire et on se rend compte que le gars, à côté, a une explication non pas différente, mais complémentaire. Et on cause. Et on comprend mieux.

Bref, avec l'ami Rubin, nous étions en train de gueuler sur l'arbitre CSA dans la partie audiovisuel / réseaux sociaux. On a refait le match chacun de notre coté et nous nous sommes rendu compte que les deux points de vue s'imbriquaient.

D'où l'idée de pousser la voix ensemble. Il semble que ça n'était pas complètement idiot, vu que le coup de gueule se retrouve maintenant partagé sur Atlantico, Les Inrocks, Electron Libre et Mediapart.

Tout ça me donne envie de vous dire : que ce soit l'arbitre ou les joueurs, peu importe. Quand y'a faute, ne restez pas spectateurs : sortez des tribunes.

lundi 6 juin 2011

Innocence

Notre avenir ne tient qu'à un fil : celui des mots que prononcera à l'audience Dominique Strauss-Kahn devant le juge Michael Obus.

Et si DSK n'était pas ce prédateur sexuel ? Et s'il avait été piégé par d'infâmes comploteurs qui, sentant le danger, l'ont fait taire ?

Il faut revenir sur les épisodes précédents : DSK n'a infligé aux nations dépensières la sanction de l'austérité que pour les sauver.

C'est en fait un libérateur des opprimés. Une sorte d'antéchrist niché au sein du grand capital pour mieux le subjuguer.

Et nous le savons tous : le grand capital est suffisamment pervers pour laisser s'y introduire aujourd'hui celui qui le culbutera demain.

Bref, DSK plaidera son innocence et mieux : si d'aventure à l'issue de son procès il devait être affranchi, nous en ferons notre sauveteur.

Il reviendra devant nous comme le messie, un presque fils de Dieu survivant aux outrages. Son innocence effacerait tant de nos culpabilités.

L'homme a toujours su transformer les monstres en divinités, brûler les idoles aussi bien que changer les bourreaux en victimes.

En définitive, ça n'est pas tant de celle de DSK dont il est question dans cette affaire que de la nôtre, cette chère innocence.

vendredi 3 juin 2011

Génotype

La communauté scientifique n’en finit pas de se déchirer sur les mœurs des bonobos. Cette question nous préoccupe tous, puisque nos caractéristiques génétiques sont semblables à près de 99 %.

Une des questions débattues est évidemment la sexualité de ces primates, à l’origine de nombreuses blagues chez nous autres homo sapiens.

Femmes des autres, enfants… les mâles sauteraient sur tout ce qui bouge plusieurs fois par jour. On a longtemps cru que leur sexualité débordante était une façon conviviale de calmer les tensions.

Mais cette image d’une société pacifique et harmonieuse ne serait qu’un mythe. Les mâles dominants profiteraient de leur autorité pour abuser de leurs semblables. Espérons que cette vilaine tare soit restée dans le petit pourcent qui sépare leur génotype du nôtre.

jeudi 2 juin 2011

Par la racine

Quand les faits ou les fruits tombent, on en veut la primeur. Tout de suite, maintenant.

Sauf que les vérités sont comme les salades : il faut leur laisser le temps de mûrir. A les cueillir trop tôt, on n'en récolte que d'indigestes ; ou trop tard, flétries, tout juste de quoi en faire une mauvaise soupe.

Mais comme tout s’accélère, se consomme immédiatement et qu’on y a pris goût, on finit par trouver ça normal de se payer aujourd’hui les légumes cueillis hier à des centaines de kilomètres. Tout comme de pouvoir éplucher demain l’information certifiée d'origine contrôlée de l’endroit exact où, avant-hier, entre le sol de culture et l’étal du commerçant, le produit a été contaminé.

Cela dit, on peut aussi songer à cultiver son jardin. Mais attention, il faut être patient, savoir laisser filer le temps des saisons qui, elles aussi, et plus certainement qu'une bactérie, nous enverront manger les pissenlits par la racine.

lundi 30 mai 2011

Enfants de la patrie

Cher Claude Guéant

Je vous souhaite la bienvenue en Touraine, ma terre d'adoption à moi et aux miens, pour colmater les brèches sociales que ce drame de Joué-Les-Tours révèle.

Vous croiserez peut-être dans le corps enseignant de cette école frappée par un destin cruel le regard de mon épouse qui y exerce le rude métier d'institutrice en ZEP. Oh, ça n'est pas la pire zone. Nous sommes Ch'tis.

Elle est originaire, comme vous, de ces terres de Vimy, là où le prioritaire de l'éducation des populations sinistrées par les crises industrielles s'efforce de soigner de béantes cicatrices sur une troisième génération de damnés de la terre de mines. Celles où des décennies plus tôt des enfants de la patrie, de l'Hexagone comme de nos anciennes colonies, sont morts pour la France.

Mais nous sommes ici dans cette douceur tourangelle un peu plus loin des violentes frontières de la mondialisation. N'empêche, certains îlots populaires comme celui que vous allez visiter ont accueilli à bras parfois trop ouverts des citoyens du monde qui aujourd'hui vivent mal.

Et c'est sur le terrain de l'insécurité, forcément, dans cette vertigineuse vacuité qui sépare parfois les pays d'origine de ceux d'accueil qu'ils sont, comme pas mal de Français natifs qui n'y vivent pas mieux, focalisés.

Sur des règles mal énoncées, trop mal rappelées, ils ne verront pas s'exercer la loi du hasard qui aurait pu, plutôt qu'un gendarme, mener le conducteur du camion d'un commerce local sur la route où ont été écrasés leurs enfants.

Mais vous le savez, les relations entre ce petit peuple métissé et les forces de l'ordre sont devenues tellement compliquées. Tant de mots qui fâchent ont été prononcés qu'on se demande bien quelles forces de l'esprit seront capables un jour de trouver ceux qui apaisent.

Les contrôles d'identité et de vitesse ont fait naître des monstres d'exaspération dont tellement de politiques profitent. Sans même attendre la vérité, ils s'insurgent déjà contre l'hypothétique violation des règles par un représentant des forces de l'ordre.

Alors je vous souhaite de les trouver, ces mots, comme pour créer un précédent. Une sorte de parole magique qui ne vous appartiendrait pas, ni à vous, ni à aucun parti politique. Ces mots que l'on prononce quand un enfant de la patrie a été fauché par l'absurdité.

mercredi 25 mai 2011

Prévenus

La rubrique politique débordait déjà sur les pages people. Elle s'étale dans la chronique judiciaire.

Des représentants du peuple, habitués au paraître, qui comparaissent ; des tribuns au tribunal... De quoi charger encore un peu plus le casier étiqueté tous pourris.

Et comme d'habitude, les corbeaux se déguisent en colombes, jouent les vierges effarouchées. Drapés dans leur blancheur de circonstance, ils se repaissent de ce déballage de linge sale. Font mine de s'en laver les mains.

La culpabilité des autres ferait foi de leur propre innocence. Ils profitent donc de l'audience et instruisent discrètement le procès général, espèrent nous prendre à témoin. Mieux : constituer une sorte de jury populaire qui, le moment venu, saura éliminer.

Vous êtes prévenus.

lundi 23 mai 2011

Puissant ou misérable

La météo est incertaine. On peut néanmoins s'attendre à ce que les cieux déversent des seaux de merde sur la tête du peuple de gauche. Car "selon que vous serez puissant ou misérable" ...

Depuis que DSK est entré dans un commissariat de NYC, tout s'y prête. La droite, dans une grande dignité, s'efforce de ne pas se lâcher, conformément aux consignes du château, d'où depuis le donjon on peut discerner un peu de clairvoyance.

Mais les éléments de langage ont peu a peu filtré. Le fameux "l'image de la France dans le monde est ternie" (comme si elle était encore lumineuse, hein) tourne en boucle depuis une semaine.

Mais surtout, depuis ce dimanche 22 mai au matin sur les ondes d'Europe 1 et grâce à un autre Kahn (Jean-François, pas Dominique Strauss) un argument de nature à lessiver la gauche dans son ensemble, si d'aventure les faits reprochés à DSK venaient à s'avérer, est servi.

"Trousser une domestique, ça me semble gravissime. C’est exprimer un rapport de puissance par rapport à quelqu’un qui est en situation par définition fragile." Je ne vais retenir que ces mots de la difficile exégèse engagée par mon camarade Birenbaum. Car le reste n'est que cabrioles du langage initiées à l'ENA et confirmées dans la préfectorale.

Bref, ces mots (je répète : "Trousser une domestique, ça me semble gravissime. C’est exprimer un rapport de puissance par rapport à quelqu’un qui est en situation par définition fragile") portent un sens très lourd. En clair : celui qui était présenté comme le candidat providentiel de la gauche - parti qui, historiquement, défend les faibles contres les forts - ne serait qu'un puissant qui aurait abusé d'une misérable. Si l'accusation n'avait pas pensé à cet argument, le voilà disponible, sur la place publique.

mardi 17 mai 2011

Éros et Thanatos

L’actualité souffre parfois d’une inexcusable ingratitude. Alors que pendant des semaines, le cœur de la France entière a battu au rythme des bribes d’informations parcimonieusement délivrées sur l’éventuelle grossesse de Carla Bruni-Sarkozy, la confirmation de l’heureux événement est éclipsée.

Le petit compliment adressé à Carla par Jean-Pierre Pernaut dans son 13 heures, lundi, n’aura pas fait couler beaucoup d’encre et l’annonce officielle par les parents du couple 24 heures plus tard n’a pas déclenché de liesse populaire.

Oui, évidemment, l’affaire DSK a forcément pris le dessus. Les deux événements se font terriblement écho. D'un côté, l'image idyllique du couple parfait, de l'amour avec consentement, de la procréation... De l'autre, celle des pulsions qui, enfouies au fond des mâles après des millénaires de domination, resurgissent monstrueusement.

Quand on y songe, comment ne pas s’interroger sur ce croisement de sens et de caricatures. C'est un terrain tellement fertile pour les fantasmes en tous genres. Où l'on parle de suicide et de Sida aussi. De complots ourdis par d'obscures forces. Voilà une actualité qui nous replace en face des fondamentaux de l'espèce humaine : le bien, le mal, les pulsions de vie d'amour et de mort, Éros et Thanatos.

Cette affaire ne fera pas l'objet d'analyses rationnelles avant des lustres. Le cerveau reptilien de l'opinion publique a déjà éteint son peu de raison pure.

lundi 16 mai 2011

Conquêtes

A peine la Croisette s'émeut-elle de la projection de La Conquête, le film racontant l'ascension de Nicolas Sarkozy aux plus hautes fonctions, que le scénario du premier volet est déjà ruiné, mort et ringardisé par les promesses du second.

Car il y aura une La Conquête 2. Comment pourrait-il en être autrement ? La course à la présidentielle 2012 est tellement plus passionnante ! Un président sortant qui va re-devenir papa, une fille (Marine) qui doit venger son père (Jean-Marie) et surtout, surtout, LE polar du siècle.

Oui, dans La Conquête 2, terminé, ce côté trop franchouillard et étriqué des petits budgets dédiés aux histoires strictement hexagonales. Nous voici dans une intrigue internationale, où l'avenir de la France se joue dans un commissariat de Harlem, avec police scientifique, prélèvements d'ADN et recherche de traces intimes à lumière blanche rasante.

Evidemment, ce blockbuster est une hyperproduction hollywoodienne dont les droits nous échappent. Mais on le sait bien : à force de traverser les frontières et les océans, tout se mondialise. C'est le prix à payer quand on rêve de nouvelles conquêtes.

vendredi 13 mai 2011

Utopie

Un jour, il y a longtemps, j'ai dit qu'Internet transformerait l'humanité. On m'a traité d'utopiste. La rubrique des cyber faits divers du jour me rappelle cet instant où j'ai expliqué à un auditoire sceptique que l'idée selon laquelle les deux mondes – l'URL et l'IRL – sont séparés et ne se rencontrent jamais est une sorte de légende urbaine née du croisement entre une pensée archaïque et une peur de l'avenir.

Je n'y ai jamais cru. Surtout depuis le développement des réseaux sociaux. Comment imaginer que les minutes, les heures, les jours passés à interagir avec d'autres humains, quel que soit le médium, ne peuvent pas prêter à conséquence ?

Comment penser une seconde que les humeurs, les informations échangées et les avis confrontés ne s'impriment pas dans nos mémoires pour contribuer à produire des opinions, des haines ou des amours ?

Nier cette capacité du Net à forger les consciences - individuelles et/ou collectives - et les sentiments est aussi absurde que de croire que ce qui est transmis de bouches à oreilles, imprimé dans les livres, les magazines ou les journaux, dit à la radio ou montré à la télé n'est pas susceptible de bouleverser le cours de la vie des individus qui reçoivent ces messages, fussent-ils vrais ou faux, qu'importe.

On se conçoit ici comme ailleurs un point de vue sur le monde, des attaches et des distances, pour mieux y naviguer. Atteindre une terre promise ou se naufrager contre de maudits récifs.

Croire que les choses lues ou vues sur l'écran d'un terminal sont différentes des odeurs respirées, des surfaces touchées, des sons entendus ou des saveurs goûtées est une simple hérésie. Elles participent toutes à la constitution de notre être.

En émettant et/ou en recevant des données, nous générons immédiatement de futurs souvenirs dont certains ne s'effaceront jamais. Peut-être-même en rappelleront-ils d'autres, comme la madeleine de Proust, parce qu'ils portent une charge émotionnelle.

Tout cela ne se réduit pas en une succession de 1 et de 0 qui circulent, se croisent et s'entremêlent. Il faudra bien un jour admettre que l'humanité est entrée dans un développement cognitif et affectif nouveau : celui de l'agrégation collective des connaissances et des émotions via le Net.

On peut continuer à croire que cette faculté nouvelle n'existe pas, puisqu'elle ne se matérialise nulle part. Ou admettre que ce que l'on ne voit pas, ce que l'on ne touche pas, ce que l'on ne saisit pas peut changer le monde. On appelle ça une utopie.

mardi 10 mai 2011

De l'histoire

De Christophe Colomb atteignant les îles Caïmans (1503) à la mort de Louis XV frappé par la petite vérole (1774) en passant par l'invasion de la Belgique, de la Hollande et du Luxembourg par Hitler (1940) ou la Nuit des barricades (1968), combien de 10 mai sont-ils entrés dans l'histoire ?

Mais voilà. En 2011, les trente ans de l'accession de François Mitterrand au pouvoir auront éclipsé les autres événements estampillés 10 mai. C'est comme ça. La mémoire des choses qui changent le sens de la grande histoire est ingrate.

Disparue, la mort de Jean de La Bruyère (1696), ou celle d'Yves Robert (2002). Perdu de vue le contrat d'enregistrement de "Come on", premier 45 tours des Rolling Stones (1963).

On a même oublié de souhaiter un bon anniversaire à Bono (1960) ou à Linda Evangelista (1965). Et qui a pensé à Fred Astaire, né lui aussi un 10 mai (1899) ? Il n'a pas changé le sens de la grande histoire ? Allez savoir. Ses pas de danse avec Ginger Rogers n'ont-ils pas bouleversé le sens de millions de petites histoires d'amour ?

lundi 9 mai 2011

Dément

C'est fou, cette quantité de fausses informations qui circulent avant d'être aussitôt démenties.

La démission de Laurent Blanc ? Un mensonge. La Grèce envisagerait de quitter la zone Euro ? Une rumeur.

Anonymous à l'origine des attaques contre Sony ? Balivernes. Carla Bruni enceinte ? Fantasme.

Martine Aubry pas candidate à la primaire socialiste ? Calomnie. Pierre Bergé abandonne Ségolène Royal ? Billevesées.

Pas de fumée sans feu ? C'est ce qui se dit, mais à force de les renifler, on finit par avoir des hallucinations. C'est dément.

Mitterrand

Imaginons François Mitterrand coincé au purgatoire depuis janvier 1996. Pour les 30 ans de son arrivée au pouvoir, il a obtenu une audition de saint Pierre.

François Mitterrand : « Ne croyez-vous pas qu’il est temps maintenant de m’ouvrir la porte ? N’ai-je pas mérité une place auprès de l’autre. Enfin, de Dieu ? »

Saint Pierre : « Il se dit que vous voulez prendre sa place. Et puis Vichy, l’entrée de députés FN à l’Assemblée nationale… Il reste encore des zones d’ombre. »

François Mitterrand : « Voyez comme sur terre on me glorifie encore. L’abolition de la peine de mort, la réduction du temps de travail, les gens vivent plus longtemps, ça compte, non ? »

Saint Pierre : « Ça retarde les entrées de damnés en enfer et de bienheureux au paradis. Je vous vois bien rester une sorte de… mythe errant. »

François Mitterrand (dans sa barbe) : « Imbécile. »

jeudi 28 avril 2011

Acte

On a eu chaud. Barack Obama inéligible, c’eût été un coup dur pour l’humanité. Mais il a montré patte planche, acte de naissance à l’appui.

N’empêche, quand on y repense, ça fait peur. Imaginons un instant qu’il n'ait pas pu fournir à ses détracteurs la preuve de son américanitude. Pas de second mandat possible, d’accord, mais le premier ?

Connaissant le goût des Américains pour la chose juridique, on aurait peut-être eu droit à un procès, voir à une invalidation. Impensable. Le concert d’investiture avec Bruce Springsteen, c’était chouette, non ?

Bon, d’accord, Guantanamo, l’Afghanistan, il y a des dossiers qui traînent. Mais vous imaginez vraiment Barack obligé de rendre son Nobel de la paix ?

Et puis ça ferait trop plaisir à Berlusconi. Michelle qui refuse de lui claquer la bise, il parait qu’il ne s’en est jamais remis. Mais Barack est Américain. Dont acte.

mercredi 27 avril 2011

Malentendu

Chers extraterrestres, nous ne vous entendons plus. Le système américain d’écoutes pour capter vos messages a été coupé le 15 avril. Les États-Unis, qui se serrent la ceinture budgétaire, ont préféré consacrer les 1,5 million de dollars par an nécessaires au fonctionnement des radiotélescopes de Hat Creek à autre chose.

Alors donc, si vous avez prévu d’envahir notre bonne vieille planète Terre, profitez-en : nous n’en saurons rien. Mieux. Si votre invasion est programmée pour les prochaines heures, il n’y aura même pas de médias pour en parler : ils seront tous coincés au mariage princier.

Si vous comptez débarquer en Europe, ne tardez pas trop, tout de même : Silvio Berlusconi et Nicolas Sarkozy veulent rétablir le contrôle aux frontières à l’intérieur des États-membres.

Un dernier conseil : une fois sur place, évitez d’utiliser vos smartphones pour communiquer. Vous risqueriez d’être géolocalisés, voir même placés sous écoute. Et n’allez pas vous plaindre : on vous dira que c’est un malentendu.

mardi 26 avril 2011

Dépression

Cette étude de la revue American Academy of Pediatrics a fait ressurgir une vieille question (à laquelle j'ai déjà répondu) : les réseaux sociaux sont-ils dangereux pour les ados ?

Certains, à force de s’y éterniser, s’embourberaient dans leur mal-être. Les chercheurs parlent de « dépression Facebook ». Quel est le problème ? La difficulté à s’accepter soi-même, à supporter le regard des autres… ou son absence.

Car c’est ainsi que ça fonctionne, et pas seulement pour les ados, sur les réseaux sociaux : on n’y existerait vraiment qu’en alignant une longue liste d’amis qui encensent chacune de vos paroles.

Faute de quoi, on reste seul et se morfondre en public est une circonstance aggravante, avec une sanction immédiate : l’absence de réponses ou - pire - les moqueries, qui renforcent ce mal-être, ce sentiment d’être mal-aimé.

Mais en quoi est-ce différent de ce qui se passe dans la " vraie " vie ? Il y a probablement des leçons de choses qui ne sont plus enseignées. Ou de belles lectures oubliés dans une dépression bien plus grave : celle de la transmission des valeurs.

lundi 25 avril 2011

Terme

Carla et Nicolas ! Un bébé ! Évidemment, vu l'échéance, ça jase. L’épouse de celui qui préside à nos destinées attendrait un heureux événement pour 2012, tout comme son mari aussi, d’ailleurs, un bonheur n’arrivant jamais seul...

Bon, cela dit, méfions-nous des rumeurs, surtout concernant Carlita. Les mêmes canaux lui prêtaient il y a peu une liaison avec Benjamin Biolay. Et puis ça n’est pas la première fois qu’on l’annonce partie parturiente. Enceinte en stéréo, sur le Net ou couchée sur le papier. Déjà lu, vu, entendu.

Mais il n’y a rien à faire : ça marmonne autour du marmot. Faut dire que c’est un peu son genre artistique, le « quelqu’un m’a dit », les petites phrases chuchotées... Et si c’était vrai ? Tout est possible quand les ventres s’arrondissent.

Et si le papa, inspiré par un sentiment paternel normalement partagé, se regardant un matin dans le miroir, décidait en se rasant de mettre un terme à sa vie politique pour se consacrer pleinement à celui de la grossesse de son épouse ? Mais au fait : est-il plus difficile d’élever dignement un enfant que de diriger ces sales gosses que sont les Français ?

vendredi 8 avril 2011

Banalisation

La banalisation du Front national, c'était trop banal. Pour le ban et l'arrière-ban, la cause est entendue : les Français sont comme ça, ils ont les élus qu'ils méritent, ces derniers ne faisant jamais que représenter les premiers, qui s'exaspèrent au point de glisser de sales bulletins dans les urnes de la Démocratie.

Non, le vrai truc nouveau dans la banalité du FN, c'est sa présence au premier tour de l'élection présidentielle. Tellement de sondages ces dernières semaines nous ont montré que dans quasiment tous les cas de figure, la fille Le Pen sera qualifiée pour le second qu'on a probablement fini par en accepter l'idée.

De ce fait, nous sommes passés dans un nouveau type de scrutin. Imaginons que tous les candidats aient aussi banalisé dans leurs stratégies cette présence du FN qui implique - c'est un postulat - que le candidat de l'extrême soit sacrifié au second tour sur l'autel d'un front républicain qui, bien qu'ébréché, n'en reste pas moins solide.

Alors on se retrouve avec un scrutin à un seul tour : le candidat - "républicain" - arrivé en tête du premier devient une sorte de preux chevalier choisi par les gueux pour affronter - dans un combat réputé victorieux avant son issue - la vilaine bête brune au second et enfiler l'habit du roi.

Dès lors s'ouvre la liberté d'une multiplicité de candidats, de formations, de clans et de partis de conquête de ce seul premier tour, le second étant présupposé gagné d'avance.

Et si la vilaine bête brune était capable, dans une telle configuration, d'emporter la victoire au second tour ? Et si les brèches de ce autel du front républicain masquaient sa ruine ? Autant de questions qui ne se banalisent pas.

mardi 5 avril 2011

Précarité bien ordonnée

Je n'ose pas imaginer que d'aucuns trouvent judicieux de faire dans la laïcité faute de se démener pour sortir la France du marasme économique dans lequel elle baigne. Cependant, étant de nature un peu méfiante, j'ai tendance à considérer depuis des années que le chômage, la précarité, ça arrange beaucoup de monde.

C'est vrai quoi, déposer à l'Assemblée une résolution pour un futur code de la laïcité, comme si la représentation nationale n'avait que ça à faire ? Comme si les chiffres de l'emploi étaient bons. Comme si la principale préoccupation des Français, c'était le port de signes religieux dans l'espace public.

Alors oui, évidemment, la mondialisation de l'économie est un étau. Certes, le concert des Nations est une cacophonie magistrale étouffée par la capacité de nuisance sonore du CAC40 et de la finance internationale. Mais bon. Mon doute subsiste.

Comme ce pressentiment qu'en projetant les risques et la difficulté de prendre en main cette question de l'emploi, les femmes et - surtout - les hommes qui nous gouvernent ont les bras qui tombent. De guerre lasse avant même de l'avoir menée.

Comme si, aussi, l'investissement politique était plus profitable sur ces faux débats de l'immigration et de la laïcité, qui se nourrissent bien évidemment de la première insécurité : la précarité.

Je crains d'y voir un renoncement et un vilain calcul : la bataille de l'emploi étant perdue d'avance, n'y gaspillons pas nos troupes et notre énergie. Trouvons un terrain moins dangereux.

Ou alors peut-être suis-je d'une nature vraiment trop méfiante. Peut-être ces femmes et - surtout - ces hommes qui nous gouvernent n'ont-ils plus assez l'occasion de s'immerger dans la réalité du pays dont la majorité des électeurs leur ont confié la destinée en espérant des jours meilleurs. Ils se peut effectivement que tout en haut du pouvoir, l'empathie s'use. Ou que l'on oublie que la précarité bien ordonnée commence par soi-même.

dimanche 3 avril 2011

Recto verso

Je me suis fait un jour une promesse : celle de laisser la trace, au milieu de quelques bouquins et de milliers d'articles ou de billets qui me survivront peut-être, d'une réponse essentielle à une question fondamentale que l'aîné de mes enfants m'a souvent posée : quelle est la différence entre la droite et la gauche ?

Je sens que les cadets commencent à s'y intéresser. Ils seront tous bientôt en âge de glisser un bulletin dans l'urne. Je ne veux pas disparaître demain sans avoir répondu. Le temps est donc venu de me torturer les synapses sur ce clivage gauche/droite.

C'est mon devoir de père et de citoyen. J'y suis très sensible. Du haut de mes 45 ans, j'ai payé toutes mes dettes à la société. Je n'ai jamais tenté la moindre évasion fiscale et je me suis libéré des obligations militaires.

Tiens, d'ailleurs, c'est sous les drapeaux que le clivage gauche/droite a pris un jour un sens inédit. J'ai servi comme officier appelé. A l'époque, on disait aspi, sous-bite... J'ai dû apprendre à faire marcher des hommes au pas : "Gauche, droite. Gauche, droite. Gauche... gauche".

L'ordre serré, c'est le nom exact de ce rituel qui pousse l'instinct grégaire de la civilisation à s'épanouir une fois par an sur les Champs-Elysées. Bref. Figurez-vous que jadis, quand nous, l'élite de la nation, apprenions au peuple à marcher en rythme, nous devions au préalable enseigner à certains désorientés la reconnaissance de la main droite.

Dans la plus pure tradition de l'humour militaire, nous avons assuré la transmission d'une vanne ancestrale. Quand le pauvre deuxième classe Duschmoll, un de ces malheureux sujets victimes de cette difficulté à reconnaître sa droite de sa gauche, faisait part de son désarroi, la réponse d'usage était : "Ta main droite, Duschmoll, c'est celle où le pouce est à gauche".

C'était con, mais ça nous faisait - nous qui savions reconnaître notre droite de notre gauche - bien rire. Quand j'y repense, la vérité relative de cette réponse avait, outre son imbécillité immédiate et son inefficacité manifeste, un sens caché.

Et si, effectivement, selon que l'on retourne ou non sa main, la gauche et la droite pouvaient être comme ce pouce, tantôt à droite, tantôt à gauche ? J'y ai souvent cru.

Et puis avec le temps, une réponse sincère aux interrogations de ma progéniture se faisant probablement urgente, j'ai reconsidéré cette théorie et j'ai découvert que le clivage gauche/droite existe toujours.

Droite, derecha, rectitude... De l'ordre de ce qui est droit. Bien planté, perpendiculaire au sol, presque phallique. Gauche : comme maladroit, malhabile, mais aussi différent. La gauche, c'est donc l'autre, l'improbable.

Je me suis souvenu de ces jours de mai 1981 où l'arrivée de la gauche avait fait fuir les capitaux. Foutre la trouille au grand capital ! Quel parti aujourd'hui pourrait causer de telles conséquences ?

Les choses sont alors devenues limpides : si la gauche, c'est cette altérité qui rêve de changer la donne au point de faire peur à l'ordre établi, alors, la droite, ce sont les partis dits de gouvernement... Et logiquement, à l'inverse, les extrêmes ont pris la place de la gauche.

J'ai souvent en tête cette phrase de café du commerce qui rebondissait du comptoir au billard en passant par le flipper et le baby-foot Bonzoni : "les extrêmes se rejoignent". Oui. Elles se sont rejointes dans cette capacité - démagogique ou utopiste, comme vous préférez - à faire croire aux hommes en la possibilité d'un monde sinon meilleur, pour le moins différent.

Sont donc de droite tous ceux qui - quand bien même ils sont les héritiers de valeurs républicaines nées de révolutions - acceptent la fatalité d'un ordre établi. Et la gauche ? Les autres, ceux qui ont pris la place de la contestation, même si ce sont des ennemis de la Démocratie.

Alors voilà, les enfants : ne croyez jamais les gens de droite. Ni ceux qui se disent de gauche. Et regardez bien le bulletin de vote que vous glissez dans l'urne. Recto, verso.

mercredi 23 mars 2011

Des causes et des effets

Ce qui est terrible aujourd'hui, c'est de voir toute une génération de politiques, pourtant pas née de la dernière pluie, donner l'impression de découvrir la mécanique du Front national.

Je ne peux pas, je ne veux pas croire qu'ils (elles) ont oublié que ça n'est pas nouveau, que ce sont le mêmes ficelles qui sont tirées, que les mêmes causes produisent les mêmes effets.

Mais Au cas où, je vais ressortir une vieille histoire, celle où pour la première fois le FN à dépassé la barre des 30 %. Juste au cas où, effectivement, ils (ou elles) auraient oublié. Juste histoire de moins causer des effets.

« Faut-il attendre que la Sambre brûle pour qu'on se rende compte qu'elle est inflammable ? » Telle était la question que je posais à la fin d'un des mes articles, en novembre 1995, à propos d'un débat sur la délinquance dans le bassin de la Sambre. Deux ans plus tard, Maubeuge entrait dans le palmarès des villes peu sûres et la Sambre prenait feu.

Début octobre 1997, au bout d'une semaine de violences urbaines à Maubeuge, un dimanche, premier jour d'une semaine de congés, j’eus l’envie de comprendre ce qui agitait cette Sambre où j'étais né. La sécurité des personnes n'était plus garantie. Je voulais savoir si elle le redeviendrait un jour. Je commençais alors la rédaction de cette enquête.

Cinq années de métier m'avaient enseigné que le journaliste devait observer les faits et oublier les opinions. C'est une bonne chose. Nous sommes tous suffisamment responsables pour nous forger un avis en observant le monde.

Poussé par cette montée de la délinquance, j’ai voulu en comprendre l’origine. Les causes étant multiples, il me fallait, pour être juste, aller au delà des sentiers battus. Plutôt que d’interroger les interlocuteurs « institutionnels », policiers, magistrats, travailleurs sociaux ou hommes politiques, j’ai préféré rencontrer les gens de la rue.

Puisque les violences urbaines venaient des quartiers, il fallait y chercher la parole de ceux qui ne parlent pas, que l’on entend pas ou qu’on ne veut pas écouter. D’abord, les Français d’origine immigrée et leurs enfants, ces « Beurs » tellement montrés du doigt. Il fallait, aussi, toucher le fond, pousser cette « immersion » jusqu’à la lie des quartier, approcher le monde des dealers et de leurs clients, de leurs victimes. Là n’était pas tout.

Il me fallait, en plus, tenter de comprendre ces gamins que tout le monde incrimine, leurs mamans, parfois si seules, et leurs pères, souvent trop loin. Et puis, ne pas oublier, dans ces quartiers, ceux que les jeunes appellent souvent les « fachos », ou les « racistes », et qui s’avouent, parfois sans honte, comme tels. Enfin, restaient les « vieux », les anciens, détenteurs de la mémoire des quartiers, le plus souvent rendus muets par la peur. Une fois les faits et les mots recueillis, il ne restait qu'à les coucher sur le papier en les juxtaposant de la façon la plus honnête possible.

[...]

Au fil de ces trente dernières années, la Sambre est passée de la fierté du travail à la peur du chômage, puis de la peur du chômage à la honte du travail. De son riche passé industriel, Maubeuge garde des souvenirs. A Sous-le-Bois, quartier populaire, les rues portent le nom des industries défuntes : rues de la Boulonnerie, de la Briquetterie, de la Fonderie, des Hauts-Fourneaux, place de l'Industrie. C'est précisément de ce quartier qu'est partie la vague de violences urbaines, c'est là que, pour la première fois, les incendiaires ont mis le feu à un bâtiment, la salle des fêtes. Si, dans la Sambre, un jeune de moins de 25 ans sur deux n'a pas d'emploi, à Sous-le-Bois, le taux est, au moins, de deux chômeurs sur trois jeunes. Pourtant, à Sous-le-Bois, il y a trente ans, les ouvriers vivaient bien.

[...]

Dimanche 25 mai 1997, 20 heures. Claude Deresnes est le seul candidat du FN dans le Nord-Pas-de-Calais à arriver en tête du premier tout des législatives, avec presque 26 % des voix. Le député sortant, Jean-Claude Decagny, est à un peu plus de 22 %.

L'électorat de Claude Deresnes vient d'enraciner son vote et l'implantation du FN. Aux législatives de 1988, Claude Deresnes avait obtenu 15,23 % des suffrages. Au premier tour des législatives de 1993, il passait à 24, 53 %. En 1995, aux présidentielles, le candidat Jean-Marie Le Pen arrivait en tête du premier tour avec 24,31 % des suffrages.

En 1997, le FN n'a fait que conforter ses positions : il pèse un quart du corps électoral. On ne peut plus parler de vote protestataire. Les électeurs FN sont fidélisés. Le discours de Claude Deresnes en matière d'insécurité et d'immigration fait écho dans la Sambre.

Le candidat FN bat le député sortant dans les quartiers sensibles de Sous-le-Bois, de l'Epinette et des Provinces françaises, mais aussi dans les villages et dans les bastions traditionnels de la gauche. « Mon score n'est pas une surprise, c'est une logique », commente alors Claude Deresnes.

La plupart des observateurs de la vie politique sambrienne s’attendaient à ce que Claude Deresnes, conseiller régional sortant et candidat aux cantonales pour le siège de Maubeuge-Sud, canton dans lequel se trouve Sous-le-Bois, rompe son habituel mutisme à l’approche des scrutins de mars 1998. Mais Deresnes le discret n’en fera rien.

Lui demandant les raisons de ce silence, il me confiera, à propos des violences urbaines : « Je ne veux pas être accusé de récupérateur, mais ça me fait mal de ne rien dire, car ce qui se passe est grave, et ça va continuer. Tout ceci n’est le fait que de quelques individus. Mais ces dizaines de provocateurs feront des émules par centaines. Il faut réagir. Je suis pour la réouverture des maisons de redressement. Il faut sortir la matraque. C’est la seule façon d’éviter que les gens fassent justice eux-mêmes… »

Meilleurs encore pour le Front national que ceux des législatives de 1997, les résultats des élections de mars 1998 confirmeront l’implantation de Claude Deresnes et le FN passera la barre des 30%.


[...]

Au lendemain du premier tour des législatives, il répond aux questions des journalistes, à la table d'un bistrot. « Jean-Claude Decagny dit que vous ne seriez pas à la hauteur du travail d'un député. Si vous êtes élu, comment ferez-vous ? » Claude Deresnes n'a pas peur. « Vous savez, au FN, on n'est jamais seul. Si je suis élu, à Paris, il y aura des gens autour de moi pour me conseiller ».

Claude Deresnes a bien changé. Ses premières amours politiques étaient gaullistes, mais ce penchant a été contrarié. Claude Deresnes s’est battu pour l’Algérie française. Il en garde une douleur à la mâchoire dont il aime à rappeler qu’elle est due à ce passé militaire. Comme d’autres, il s’est senti « lâché » par le Général et s’est radicalisé.

Cette radicalisation le conduira, en 1984, au Front national, dont il deviendra leader local, conseiller régional du Nord-Pas-de-Calais et conseiller municipal de Maubeuge. Lui qui revendiquait, au milieu des années 1980, une zone franche pour la Sambre afin d'attirer les investisseurs ne parle plus d'économie. Les idées, il les laisse aux techniciens du FN. A quoi bon en avoir quand le parti en a pour vous ? Et même, à quoi bon parler ?

Claude Deresnes a joué sur la proximité, le contact, le bouche à oreilles, plus efficaces, selon lui, que les médias « vendus à l’establishment ». Pendant la campagne des législatives, Claude Deresnes est resté d'un silence qui n'a d'égal que celui des quartiers. Il a brûlé de l'essence pour aller partout, sur les marchés, dans les commerces et dans les bistrots.

Claude Deresnes amenait à chaque fois sa bonhomie, tout simplement. Son attention, son écoute, comme ces bons vieux toubibs des campagnes qui passaient plus de temps à vous écouter qu'à vous ausculter. Claude Deresnes, avec ses allures de bon gars, écoutait les gens se plaindre de tous ces « gris qui nous piquent nos allocs ».

Par un hochement de la tête, il établissait une connivence, un sous-entendu : « Il faut les mettre dehors ». Droit du sol ou droit du sang ? La question ne se pose même pas. Quand les électeurs de Claude Deresnes parlent de « les mettre dehors », c'est de tous les « gris » qu'il s'agit, tous ceux qui n'ont pas une « tête de chez nous », même si leurs parents se sont tués autour des hauts-fourneaux. « Il nous comprend, Claude », confiait une de ses électrices en sortant des urnes.

[...]

Si le malaise dont souffre la Sambre n'était que la conséquence des trafics de drogue, il suffirait de mettre les dealers en prison pour que tout soit réglé. Mais où les « dealés » trouveraient-ils leur anti-désespoir ? Et puis il n'y a pas qu'une seule fracture, celle qui existe entre les « inclus » et les exclus.

Il n'y a pas que les acteurs d'une économie officielle et ceux d'une économie parallèle. Chez les « inclus » comme chez les exclus, chez les salariés comme chez les chômeurs ou chez les « dealés », il y a la cohorte de ceux qui ne comprennent rien. Certains sont absorbés par un boulot, si dur à trouver ou à garder, qu'il en devient une obsession. D'autres sont à côté du monde, puisqu'en dehors des valeurs du travail et de l'argent.

Ils doublent leur exclusion de la « vraie » vie, celle réputée « active », par une passivité devant la compréhension de ce qui s'y passe. Ce bataillon silencieux est forcément attentif aux explications à l’emporte-pièce, aux discours d'une extrême simplicité. Quand Claude Deresnes dit : « En matière de sécurité, le Front national a l'original, la gauche plurielle, elle, a les duplicata qu'elle ressort à chaque fois qu'une campagne électorale approche » (1), il rallie à sa cause tous ceux qui se sont perdus dans le dédale des clivages politiques.

[...]

La Sambre sait ce qu’est la mondialisation. Elle sait, aussi, comment fonctionne le libre marché, le capitalisme planétaire. Les capitaux venus de l’autre côté de la frontière lui ont permis de développer une industrie puissante, d’embaucher de la main d’œuvre étrangère, d’exporter des biens aux quatre coins de la planète.

Elle fut de ces régions qui ont forgé, avec l’acier et le charbon, les fondations d’une Europe qui ne sait plus trop quoi faire d’elle, maintenant qu’elle ne produit plus assez de richesse. Aujourd’hui, ces mêmes capitaux étrangers, mariés à ceux de nouveaux partenaires financiers asiatiques, continuent la « restructuration dégraissante » de la métallurgie et de la sidérurgie. Ces secteurs ont encore de l’avenir, mais le processus d’automatisation de la production doit être parachevé. Il y aurait encore trop d’hommes dans les usines.

Le passé est mort et l’avenir est incertain. La Sambre n’a plus qu’à se contenter du souvenir des belles années. Celles où elle était gavée par une industrialisation abondante. Celles où, même si la répartition des parts du gâteau n'était pas toujours bien juste, patrons et ouvriers y trouvait leur compte. La Sambre n’a plus qu’à ressasser son histoire, se souvenir du jour où cette économie qui la gâtait s'est mise, en s'internationalisant toujours plus, à la punir. Mais la nostalgie de la Sambre vire à la mélancolie.

Quand, d'une façon aussi subite que brutale, la vallée de l'acier a dû passer du faste à la diète, elle en a fait une maladie : désespoir des uns, peur des autres… des symptômes qui, sans cesse, se répètent.

Peur de ce qui est étranger, comme ces bras laborieux et ces bouches à nourrir qui continuaient à traverser la Méditerranée alors même que le travail se faisait rare. Comme, aussi, ces concurrents du bout du monde qui mangent le gâteau industriel sans en laisser la moindre miette à ces pauvres Sambriens.

Désespoir de ne pas trouver d'emploi, ni de sens à sa vie. Mais quand on a vécu si longtemps en bonne santé, les premiers symptômes d'une maladie suffisent pas à vous inquiéter. « C'est pas grave, ça va passer », s'est alors dit la Sambre, qui n'a rien voulu changer à ses habitudes. Alors, faute d'être soignée à temps, la Sambre est allée de mal en pis. Prise de panique devant sa douleur persistante, elle est devenue une proie facile pour les guérisseurs de l’irrationnel et les gourous de la médecine magique.

De la peur à la haine, il n'y avait qu'un pas. Puisque le mal venait de l'étranger, il fallait l'éradiquer. Evacuer l'étranger. C'est ce que les docteurs de l'extrême, avec des officines bien achalandées, prescrivent à leurs patients. De fortes doses de sécurité, de rejet de l'autre, au sang impur.

Pour les guérir du désespoir, d'autres soigneurs ont prescrit à leurs jeunes patients un autre genre de calmant. Ils ont ouvert de nombreuses pharmacies. Mais pour payer l'ordonnance, les patients doivent se procurer un peu plus d'argent. Toujours plus de ces revenus de la délinquance qui nourrissent encore la peur de l'étranger.


Extrait de L'Autodafé des quartiers.