jeudi 26 avril 2012

Bêtes à cornes

Depuis des lustres, dans l'élevage, les Fafounet détenaient la recette miracle : pour éviter de perdre le bétail pendant les transhumances, ils criaient une série de mots qui déclenchaient inexorablement le rappel et le repli des bêtes à cornes. Et l'affaire prospérait, les têtes se multipliaient.

Un jour, d'autres éleveurs comprirent qu'ils pouvaient, eux aussi, se servir du même stratagème pour faire venir à eux les animaux. L'un d'eux, par ruse, suivit les Fafounet et nota scrupuleusement les termes employés. Il en fit une liste.

Fort courroucés, les Fafounet décidèrent de se défendre. Ce fut assez simple : il suffisait de comparer les copies et l'original de la liste de mots employés pour restituer les Fafounet dans leurs droits.

Mais les Fafounet s'aperçurent d'un étrange phénomène. A chaque fois qu'un autre éleveur utilisait leurs mots pour rassembler les ovins, nombre de ces derniers finissait par rejoindre les pâturages des Fafounet. Inutile, donc, de dénoncer les usurpateurs. Il suffisait de les laisser faire. Encore et encore. Leur empressement à répéter les mêmes mots assurerait la fortune des Fafounet.

Vous l'aurez compris : cette histoire est une fable. Dans la réalité, on attache les bêtes par les cornes avec de la corde. Ce sont les hommes qui se lient par la parole. Enfin. Je crois.

vendredi 20 avril 2012

Du clic

Qu'importe. Quand bien même les vierges effarouchées se cachent derrière le voile d'une déontologie transformée par les mites et les mythes en dentelle, on saura qui a fait combien avant d'avoir le droit de savoir qui a fait combien.

L'esprit moutonnier est ainsi fait dans cette corporation médiatique : une fois que le bélier a commencé à brouter l'herbe plus verte dans la pâture d'en-face, le troupeau suit.

Dimanche, dès que la première digue aura cédé, je vous parie que les autres lâcheront. Pourquoi ? Parce l'instinct des médias est grégaire et que surtout, "on ne va tout de même pas se laisser tondre l'audience de notre site".

Oui l'audience, les pages vues, les visiteurs uniques... C'est ça qui compte. Sur le Net, y'a pas de modèle économique, nous rabâche-t-on à longueur de conférences d'experts. Mais tous sont d'accord sur un point : faut faire venir des gens en masse, afin de vendre de l'espace publicitaire plus cher, sinon, ça sert à rien d'y être.

Il y a donc un modèle économique, celui de l'audience (comme sur les ondes), partagé par tous quand bien même il ne marche pas, vu qu'il ne nourrit pas son fournisseur de contenus.

Un jour, peut-être, on finira par redécouvrir que dans les urnes comme sur le marché, une bande de fidèles - aussi petite soit-elle - est plus efficace qu'un troupeau de zappeurs.

Mais pas demain. Demain, y'a encore dictature. La pire de toutes : celle du clic.

mercredi 18 avril 2012

Faciès

Nous vivons dans la société du contrôle au faciès depuis si longtemps. C'est devenu normal.

Nous consommons les produits qui ont de la gueule, épousons les conjoints qui ont l'air convenable, votons pour les candidats qui semblent les mieux qualifiés.

Sur quels critères ? Un seul : leur couleur, leurs courbes, leur bonne gueule.

Et comment s'en fait-on une idée juste ? Comme ces choix sont atrocement cornéliens, ils est plus simple de les déléguer à d'autres en qui nous plaçons notre aveugle confiance. Médias, instituts de sondages et autres grands prescripteurs d'opinion sauront mieux que nous y voir clair.

Forcément : le libre-arbitre n'est pas un produit de consommation ordinaire. Il ne se trouve pas dans la grande distribution, ni même dans les produits de luxe. C'est un article qui se bricole, à la maison, selon son inspiration, son talent, sa culture, son habileté, sa patience. Bref, ça coûte des efforts et ça prend du temps.

Et comme le temps, c'est aussi de l'argent, les marchands de libre-arbitre prospèrent.

Je crois qu'au final, ce temps-là n'est pas perdu, qu'il ne s'achète pas et qu'il ne doit pas être à vendre. Il vaut la peine qu'on le prenne.

Prenez le temps d'y réfléchir. Ça ne vous coûtera rien ou presque. Ça vous permettra aussi de reconnaître, dans le miroir, chaque matin, ce faciès qui est le vôtre.

vendredi 6 avril 2012

Ta mère

On y a pourtant cru. Le progrès, c'était promis, profiterait à tous, dans une croissance partagée. On a même fini par accepter l'idée que la mondialisation serait heureuse et que la liberté du marché tirerait les salaires des pays à bas coût vers le haut sans empêcher le vieux monde de s'empiffrer chaque jour davantage.

Alors nous avons acheté nos billets, préparé nos bagages et nous sommes montés à bord, convaincus que la croisière nous emporterait vers un nouveau monde meilleur.

La suite, vous la connaissez : on n'a pas vu les icebergs arriver assez tôt. Une fois le péril sous notre nez, le temps de dévier la trajectoire, c'était trop tard. Pire, on s'est rendu compte que tous les naufragés n'étaient pas égaux devant le droit à la chaloupe. Les femmes et les enfants d'abord, oui, mais les plus riches en premier.

De l'eau a coulé sur le pont. Sous les ponts aussi et ce vieux rêve d'un ailleurs plus clément n'ayant pas péri en mer, on a reconstruit d'autres paquebots, promis d'autres nouveaux mondes, vendu d'autres billets.

Cette envie des hommes de prendre le large... La vue sur la mer Égée s'affiche comme une nouvelle invitation à voguer vers d'autres horizons. Faut juste choisir le bon capitaine, celui qui sentira le danger venir avant l'inéluctable. En paquebot, en galère ou en pédalo, l'avenir serait donc encore une fois au large, même si les compagnies ont désormais pris la précaution d'inscrire dans le contrat que le risque de devoir ramer n'est pas exclu.

Je ne sais pas pourquoi, mais à chaque fois qu'on me propose d'embarquer sur un Titanic, j'ai envie de répondre : "Ta mère".