vendredi 26 novembre 2010

Dictateurs

Terrible dictature élitiste sur Twitter. Eh ! Suivez davantage de followers ! Vous aurez un plus petit e-penis, mais une plus grande âme

Oui, j'ai écrit ce tweet qui m'a valu beaucoup de questions et je vais prendre le temps d'y apporter une réponse circonstanciée

D'abord parce que je ne supporte pas cette conception phallique : moins on suivrait les gens qui vous suivent et plus on serait puissant

Cette sorte de masturbation de sa propre TL risque fort de rendre tous ceux qui la pratiquent irrémédiablement sourds

Une certitude se forge en moi depuis un moment qui me pousse à croire que l'ère de la communication verticale est morte

Parler sans écouter, dire sans entendre, affirmer des certitudes qui n'ont jamais été soumises au doute est une faute inexcusable

Nos réseaux sociaux offrent aujourd'hui cette chance inestimable de pourvoir confronter universellement, librement, nos points de vues

Encore faut-il qu'ils puissent se croiser. En clair, cette Démocratie numérique ne fonctionnera que si et seulement si nous nous entendons

Mais je ne vais pas recommander de remplacer une dictature par une autre. Celle de l'e-penis est aussi violente que celle du follow-back

On me rétorquera qu'arrivé au delà d'un certain nombre de followings, c'est difficile de suivre tout ce qui se dit

Ma réponse : si vos capacités intellectuelles ne sont pas à la hauteur de la Démocratie numérique, restez des dictateurs

mercredi 24 novembre 2010

Chronophage

J'ai rejoint Twitter, sur le tard, il y a 684 jours. Et je suis seulement en train de comprendre le sens de la chose

J'ai pris le temps de lire beaucoup de conneries et de rares analyses pertinentes sur les réseaux sociaux. Je me rappelle tout

C'est drôle, cette sorte de fil conducteur : le walkman devait nous rendre tous sourds, les jeux vidéos idiots et la télé incultes

La terreur majeure des réseaux sociaux, le risque menaçant l'humanité qui s'y aventure serait la perte de temps et de repères

Les minutes passées à lire ce que pensent d'autres êtres humains, à s'informer auprès reste du monde du cours des choses serait gaspillage

Cela fait donc pourtant 684 jours que je me prête à cette inutilité avec la conviction de n'avoir jamais perdu ni mon temps, ni mon âme

Je veux bien qu'on me dise que la distance numérique peut induire en erreur, que les avatars sont des leurres

Pourquoi pas, les pseudonymes sont une forme moderne de lâcheté innommable, l'expression ultime d'une irresponsabilité absolue

Reste que j'ai rencontré ici, URL, en près de deux ans, davantage de monde que pendant les 44 années de ma vie IRL

De tweets en rendez-vous en passant par les DM, de véritables fulgurances m'ont été offertes sans rien demander. De belles amitiés, aussi

Evidemment nous ne sommes que des cobayes de première génération qui testons la réseausocialité appliquée à l'espèce humaine

On sait bien ce que ça donne chez les fourmis, tout aussi bien que chez les abeilles ou les bancs de poissons, mais l'humain, pas trop

Mais je ne crois pas qu'utiliser un outil pour aller au devant des autres soit comme on le dit assez communément "chronophage"

vendredi 19 novembre 2010

Ignorer

L'autre soir, un de mes enfants m'a demandé ce que signifiait "ignorer". Assez curieusement, la réponse n'a pas été spontanée

Ignorer, c'est ne pas savoir, mais le premier sentiment qui m'est venu à l'esprit avec ce verbe, c'est le mépris

Comme si je le voyais dans la cour de récré. Comme si je m'y revoyais à sa place, méprisé par la masse, parce que différent

Celui-ci de mes enfants est au moins aussi lunaire que je l'étais à son âge. Ces sortes de pierrots qui chamboulent et traversent la marelle

Comme s'ils ne voyaient même pas les copines et les copains sauter de case en case pour atteindre le paradis

Donc je me suis ramassé en lui expliquant qu'ignorer, c'était ne pas faire volontairement attention à quelqu'un

Puis j'ai essayé de rattraper le coup en ajoutant que tout d'abord, ignorer, c'est ne pas savoir

Et là, ça court-circuite les neurones et les synapses. On se rend soudain compte qu'on n'ignore que ce et ceux que l'on veut ignorer

On chasse de nos considérations des choses et des gens comme on refoule de mauvaises pensées, des sentiments désagréables

Je peux comprendre que l'ignorance puisse nous conduire à ignorer. Je n'accepte pas qu'on puisse rester dans l'ignorance

Je vais continuer de transmettre à mes enfants le goût de ne jamais rien ignorer. Ni personne

vendredi 12 novembre 2010

Héritage

Voilà, c'est un effet de l'âge : passé la quarantaine, quand on a brûlé la chandelle par les deux bouts, faut penser à écrire son testament

Donc je m'y colle : je vais dresser la liste exhaustive de ce dont nos enfants vont hériter. Je vous rassure, ça va pas être long

Regardez les enfants : voici les arrière-grands-parents. Coté paternel, là, une Gitane ramassée sur le bord de la route par un Gaulois égaré

Au même rang, on trouve de malheureux Polonais qui crevaient la faim au point de venir en France pour le plaisir de creuser la mine

Quelques centimètres plus loin, voici un vieux poilu qui, une fois rentré des tranchées, a fait une second mariage avec une Bosche

De leur union est née une fille qui, la guerre suivante, s'est amourachée d'un occupant. Il l'a engrossée. Elle fût rasée à la Libération

De ce mariage une autre fille a suivi. Elle a épousé un homme qui a perdu son âme en Algérie, dans une nouvelle guerre. Il en est mort après

Ce qui va vous revenir de vos ancêtres comprend des Juifs qui ont dû se cacher pour ne pas finir exterminés. Des anticléricaux aussi

Ajoutez-y des communistes qui ont sombré dans le fascisme. Mais surtout beaucoup de leurs enfants qui se sont révoltés contre eux

Sachez enfin que tous se sont battus pour survivre, résister à l'oppression, car nous n'avons aucun patrimoine, pas la moindre fortune

Evidemment, les enfants, un testament, quand on sent que ça va vous apporter plus d'emmerdes que d'avantages, ça peut se dénoncer

Je sais, il est maigre. Il n'y a pas plus de médailles que de noms célèbres. Mais je vous jure, cet héritage vaut la peine d'être accepté

lundi 8 novembre 2010

Prendre

Manger et aimer. C'est ce qui me maintient en vie. Le tout avec plus ou moins de modération, selon l'humeur, l'envie

J'ai toujours été sidéré, d'ailleurs, par cette sorte de parallèle entre la cuisine et l'amour : donner, recevoir

Ce même plaisir, cette même envie de faire des choses bonnes, de se partager les plaisirs de la langue

De les incorporer ensuite. Autrement dit de les faire pénétrer dans nos chairs, de les laisser s'installer à l'intérieur de nous

Le tout en n'oubliant jamais que celui ou celle qui nous donne ce bien a pris du plaisir à le faire, en imaginant le nôtre

La chose aussi en ayant présent à l'esprit que celui ou celle qui reçoit ce bien éprouve de l'amour pour celui qui lui donne

Tout cela se mélangeant, au point que les plaisirs, du cuisinier, de l'amant, du convive ou de l'aimant se confondent

Quand ce moment de grâce est atteint, autour d'une table ou dans un lit, on mesure ce qui nous maintient en vie

Les verbes donner et recevoir alors se confondent, car ils participent du même sentiment. Ensemble, ils résistent au verbe prendre

Nous ne pouvons prendre que ce qui nous est offert ; celles ou ceux qui aiment que nous les prenions, en aimant qu'ils nous prennent aussi

dimanche 7 novembre 2010

Journaliste

L'indépendance des rédactions est un leurre, aussi vieux que celui de la liberté de la presse

De tout temps en tous lieux, les médias ont toujours été des industries, des commerces, soumis aux lois du marché, à des intérêts privés

Ou des services publics financés par des contribuables par le biais du bon vouloir du pouvoir en charge de gérer les fonds publics

En près de vingt ans, j'ai traversé une dizaine de rédactions et partout, j'ai mesuré cette dépendance

Jusqu'au jour où j'ai compris que ça n'était pas à mon employeur de garantir mon indépendance, mais à moi de la préserver

Les dirigeants d'une rédaction subissent des pressions. Ils ne leurs résistent aussi longtemps que chaque journaliste y résiste lui-même

A tout prix. Y compris à celui de devoir prendre la porte ? Oui. C'est l'essence même du métier de journaliste

Nous sommes dépositaires du vieux contrat de louage de services. Nous ne faisons que prêter nos capacités à des employeurs

Ces derniers s'en priveront facilement si elles sont mauvaises. Ils auront en revanche du mal à s'en passer si elles sont bonnes

Comment sait-on si elles sont bonnes ou mauvaises ? Quand on a réussi à délivrer les faits et leur sens au delà des pressions

Quand ce travail est suffisamment irréprochable pour résister aux fourches caudines. Quand enfin, il reçoit l'estime du public

Ceux qui réussissent à accomplir leur mission de la sorte prennent le risque d'être chassés par le pouvoir

Parfois même, ils finissent abandonnés par leurs rédactions. Mais il faut espérer que le public n'est pas ingrat. Ou changer de métier

vendredi 5 novembre 2010

Père Noël

Je n'ai pas renoncé. Je n'ai jamais voulu croire ceux qui me disaient que tout ça, c'était des balivernes, des choses qui n'existent pas

J'imagine toujours une issue heureuse, même dans les pires moments. Je crois qu'à la fin, ce sont les gentils qui gagnent, forcément

Je reste convaincu que nos morts ne sont pas vraiment partis. Parfois même je leur cause, comme s'ils étaient là

Je ne crois pas en Dieu, mais je suis certain qu'il existe dans un endroit inconnu un livre de comptes

S'y inscrit automatiquement la somme des choses belles que nous accomplissons, tout comme celle du mal que nous faisons

Je vis chaque seconde en me disant que le jour venu, il faudra bien signer le bilan de cette comptabilité de nos vies

Je suis certain qu'à cet instant-là, on voit se dérouler chaque scène correspondant à chaque ligne. Chaque sourire et chaque larme

Je crois que toute chose donnée nous sera rendue un jour, sous une forme inimaginable aujourd'hui, pourvu qu'on n'attende rien en retour

Tout comme je suis certain que ce que nous aurons mal acquis dans la vie nous sera inéluctablement repris, à la fin

Oui, j'ai 44 ans, et je crois encore au Père Noël. Et tout petit déjà, je me battais contre ceux qui prétendaient qu'il n'existe pas

mercredi 3 novembre 2010

Bombe

Mon prénom n'est pas Charles. Nous ne sommes pas le 18 juin, je ne suis pas général, mais je vais lancer un appel, car nous sommes occupés

Occupés par nos quotidiens harassants : trouver ou garder un emploi, une famille, un avenir, une conscience

Occupés par le doute. Tout le monde sent bien que nous sommes en train de grignoter les dernières miettes d'un vieux morceau de pain blanc

Chacun sait que nous avons vécu - surtout nos parents - dans une provocante opulence occidentale tandis que le reste du monde crevait

Un reste du monde qui a crevé de faim tant et si bien qu'il en a nourri la force de nous combattre pour survivre

Occupés par la terreur : celle des attentats qui tuent, cet état d'urgence qui rend muet

Mais comme si la liberté d'expression était dangereuse, il faudrait soudain faire attention à ce qu'on dit, il faudrait se taire

Qu'importe si ce monde est de plus en plus effrayant et quand bien même tout nous réduit au silence

Notre liberté d'expression reste la seule arme contre la peur. C'est comme une bombe qui ne tue personne : ça fait naître les consciences