Mes enfants ont le "Je t'aime" trop facile. Enfin, je crois. En tout cas, parfois, ça pose problème : y'a des gens que ça met mal à l'aise
Tenez, l'autre jour pendant les vacances, à peine arrivée au camping, la petite dernière se fait une copine. Elle lui dit : "Je t'aime"
La gamine a cherché partout autour des regards graves... Elle a trouvé des sourires attendris. Consternée, elle est partie jouer ailleurs
Autre exemple. Jeudi, toujours la petite dernière : elle se lance dans les bras de son grand frère en larmes et lui colle un bisou
Il pleurait parce qu'elle venait de lui massacrer sa construction en pâte à modeler. Mais ça a marché. Il lui a souri et dit : "Je t'aime"
C'est là que je me suis inquiété, parce qu'au même âge, si ma soeur m'avait ratatiné ma construc' en patamod' j'aurais pas pardonné
Avec leur mère (ma Rachël que j'aime), on s'est demandé d'où ça pouvait bien venir cette propension à la déclaration d'amour
On a pas eu besoin de pousser l'enquête trop loin : suffisait de relire les textos qu'on s'envoie. Ils se ponctuent tous par un "Je t'aime"
Oui mais pourquoi ? C'est ça la question. Là, il a fallu creuser, remonter à nos enfances respectives. Et bien en fait, on se rattrape
Des "Je t'aime", on n'en a pas entendu beaucoup sortir de la bouche de nos parents. Parfois, au détour d'une carte postale
Du coup, la première fois qu'une fille m'a dit "Je t'aime", il y a une trentaine d'années, il m'a fallu du temps pour m'en remettre
Une rencontre de colo. Elle s'appelait Sylvie, nous avions 13 ans, elle habitait Marseille et moi le Nord
Nous avons échangé des lettres pendant un an... On écrivait "Je t'aime" en très gros en bas des pages
Je crois qu'ensuite, je me suis mis à préférer les filles qui ne savaient pas dire "Je t'aime", voir même ne pas le montrer
Etre élevé par des parents qu'on entend jamais dire "Je t'aime", l'un à l'autre ou à leurs enfants, ça déforme
Je crois qu'il y a aussi cette petite musique dans nos têtes, ce cisaillement de la grande faucheuse. Je l'ai tellement entendu
Comme un sifflement lancinant qui vous chante : si demain tu dois disparaitre, est-ce que les tiens se souviendront que tu les a aimés
Donc voilà : à la maison, on a le "Je t'aime" facile. Et je crois que ça ne met mal à l'aise que ceux qui l'entendent difficilement
Ceux aussi qui, une fois morts, se retourneront dans leur tombe, réveillés par le lointain écho de ce sifflement lancinant
Mes amours, sachez avant toute autre chose que si demain je ne suis plus là pour vous le dire : "Je vous aime"
Twitstory du 24 septembre 2010 sur la TL de @christreporter
C'est beau :) On ne dit jamais trop je t'aime à ceux qu'on aime. C'est un fragile équilibre de ne pas galvauder ces mots, tout en les dispensant avec assez de justesse pour entourer ceux qui nous sont essentiels !
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